
On n’Ă©coute pas de la musique tout seul. On l’Ă©coute parce quelqu’un vous a dit de l’Ă©couter. Au fil des publications pour lesquelles il a Ă©crit – actuellement son blog Instant bullshit -, Hazam ne cesse de dĂ©rouler une pelotte de musiques dĂ©viantes et intranquilles. Punk, noise, musiques expĂ©rimentales ou avant-gardistes, selon l’humeur et les rencontres. Chroniques de disques, reports de concerts, dĂ©filĂ© non-stop d’Ă©crits souvent labyrinthiques. Je suis allĂ© l’interrompre un moment avec quelques questions.
Hello Hazam, quand as-tu commencé à écrire ? Peux-tu nous faire un historique des publications et supports pour lesquels tu as écrit ?
J’ai d’abord commencĂ© par faire de la radio, j’Ă©tais au lycĂ©e, j’Ă©coutais dĂ©jĂ beaucoup de musique et j’ai trouvĂ© dans la radio le moyen de faire quelque chose avec ce qui Ă©tait devenu pour moi une passion et celui de dĂ©couvrir toujours plus de groupes, de disques, de musiques. Lorsque j’ai pu lĂ©galement partir de chez mes parents j’ai dĂ©barquĂ© dans la grande ville la plus proche (Lyon) oĂč j’ai cherchĂ© et rapidement trouvĂ© une radio qui me corresponde : c’Ă©tait Radio Canut oĂč je suis restĂ© une douzaine d’annĂ©es. Ă radio Canut je faisais des Ă©missions seul aussi j’ai commencĂ© Ă parler de plus en plus entre les disques que je passais et c’est ainsi que j’ai commencĂ© Ă Ă©crire, d’abord des simples notes puis de vĂ©ritables petits textes. D’autres Ă Canut â Jean-Mi, futur BĂ€stard ou Stef, futur boss du Sonic â ont fait exactement le chemin inverse et ont choisi de ne plus parler et au contraire de mĂ©langer les disques, les sons et de se diriger vers toujours plus de crĂ©ation sonore. Puis j’ai rencontrĂ© des gens qui m’ont proposĂ© d’Ă©crire des articles pour des supports papier (et aprĂšs pour des sites internets) et depuis je continue d’Ă©crire, principalement pour moi, pour ma propre gazette.

Tu as collaboré à plusieurs webzines comme Le ZÚbre ou Perte & fracas, et tu es revenu à un support individuel, le blog Instant Bullshit, y a-t-il une raison particuliÚre ?
J’ai aussi Ă©crit pour un journal papier gratuit lyonnais Ă tendance culturelle gĂ©nĂ©raliste pendant presque quinze ans, j’ai un temps collaborĂ© Ă un journal musical national distribuĂ© en kiosque mais finalement je suis un solitaire et un Ă©goĂŻste, je prĂ©fĂšre travailler pour ma gueule, sans compter que j’ai un sĂ©rieux problĂšme avec les connards pour qui dans les mots « rĂ©dacteur en chef » c’est le « chef » le plus important (cette remarque fonctionne aussi avec « directeur de publication » et « directeur »). Ce qui ne m’interdit pas de prendre part Ă des projets collectifs de temps en temps, si on me le demande et bien sĂ»r si cela me branche (par exemple l’annĂ©e derniĂšre j’ai Ă©crit un ou deux textes pour un livre).
Pour moi Ă©crire est quelque chose de vital mais je n’ai aucune imagination, je ne sais pas inventer des histoires et rĂ©flĂ©chir n’est pas mon fort non plus donc Ă©crire sur la musique et chroniquer des disques me permet de conjuguer deux des trois ou quatre choses parmi les plus importantes dans ma vie et en mĂȘme temps cela me donne un cadre, des contraintes, et donc l’Ă©nergie et les idĂ©es nĂ©cessaires pour assouvir ce besoin et cette envie dâĂ©criture. Ceci dit l’expĂ©rience Perte & Fracas a Ă©tĂ© essentielle pour moi, elle s’est dĂ©roulĂ©e en deux temps et lorsqu’en 2014 Xavier est revenu vers moi pour que je réécrive dans Perte & Fracas cela m’a en quelque sorte sauvĂ©, j’Ă©tais au bord de graves problĂšmes personnels et d’Ă©preuves de vie et Ă©crire pour PeF a alors Ă©tĂ© salutaire. Il y a dans certaines chroniques Ă©crites Ă cette Ă©poque et un peu plus tard des mots qui parlent de tout ça, du fracas de l’existence, de la chute, de la dĂ©pression, des amours perdues, de la mort. Puis j’ai laissĂ© tomber Xavier et Perte & Fracas sans crier gare, assez lĂąchement, parce que je n’en avais plus besoin, et je ne m’en suis jamais excusĂ©. Mais que Xavier soit ici remerciĂ©, mĂȘme s’il ne sait pas exactement ce qu’il a fait pour moi.
Je ne sais pas si Instant Bullshit a une ligne Ă©ditoriale explicite, mais si il y en avait une, quâest-ce-que ce serait ?
La ligne Ă©ditoriale tourne uniquement autour de mon nombril et dĂ©pend du temps que je passe Ă le caresser (des fois je n’en ai pas le temps, d’autres fois je ne fais que ça, c’est tellement dĂ©licieux). Je parle donc de musiques et de disques que j’aime ou de musiques et de disques que j’aime dĂ©tester. C’est le reflet de mon Ă©goĂŻsme et de mon narcissisme. Parce que ça me plaĂźt.

Pourquoi et pour qui Ă©cris-tu ? Ou, autrement dit, quel est le sens dâune publication comme Instant Bullshit dans la scĂšne musicale actuelle ?
Je ne sais pas et je m’en fous. Il y a des chroniques qui plaisent, d’autres non. Il m’arrive d’avoir des rĂ©actions Ă certains de mes textes mais ces rĂ©actions sont rarement argumentĂ©es, c’est plus du genre : « ah c’est cool tu fais partie des rares personnes Ă avoir parlĂ© de ce disque » donc c’est comme un « like » ou un « cĆur » sur un rĂ©seau social, ça ne veut pas dire grand chose.
Tu Ă©cris des chroniques de disques et de concerts mais tu ne fais pas dâinterview. Pourquoi ?
Je ne sais pas trop parler aux gens. Quand j’ai besoin de dire quelque chose Ă une personne je prĂ©fĂšre lui Ă©crire. Alors faire des interviews⊠c’est difficile pour moi et cela l’est de plus en plus. Lorsque je vais Ă un concert je prĂ©fĂšre me cacher derriĂšre mon appareil photo plutĂŽt que d’avoir de rĂ©elles discussions.
Je crois que, comme moi, tu a commencĂ© Ă Ă©couter de la musique Ă un moment oĂč les fanzines jouaient un grand rĂŽle. Est-ce que câest quelque chose qui a Ă©tĂ© important pour toi ?
Oui et j’en ai plein chez moi. Je suis trĂšs heureux de constater que depuis quelques annĂ©es les fanzines reviennent Ă la vie, que des gens veulent Ă nouveau imprimer des mots, Ă©crire sur leurs idĂ©es, leurs ressentis, et que cela soit sur autre chose qu’une page web Ă peine consultable sur l’Ă©cran microscopique d’un tĂ©lĂ©phone pseudo intelligent. Mais je ne suis pas assez courageux pour faire de mĂȘme : Ă©crire pour un blog c’est tellement plus confortable et pneumatique.
Y a-t-il des personnes dont le style dâĂ©criture tâont particuliĂšrement marquĂ© et donnĂ© envie dâĂ©crire sur la musique ?
Je ne sais pas trop⊠Les bouquins sur la musique sont souvent tellement mal Ă©crits ! Et je ne te parle mĂȘme pas des autobiographies de musiciens. Pourtant je lis beaucoup de livres sur et autour de la musique : le sujet mâintĂ©resse beaucoup plus que le style employĂ©, que la forme. J’aimerais pourtant bien te citer Lester Bangs mais ce type est tellement inatteignable, jusque dans ses erreurs d’apprĂ©ciation, d’ailleurs⊠Et puis j’aime beaucoup ces auteurs qui Ă©crivent des romans et des rĂ©cits que je peux lire un peu de la mĂȘme façon que j’Ă©coute un disque qui me plait et me touche : Bukowski, Fante (pĂšre et fils), Philip K. Dick, Roberto Bolaño, Harry Crews, Jack London, Norman Mailer (enfin, principalement pour « Un RĂȘve AmĂ©ricain »), beaucoup d’auteurs amĂ©ricains, en fait.

Je voulais aussi te poser une question sur la nĂ©gativitĂ© et lâintransigeance. Quand on parle de musique avec une personne, on dit « Ăa, jâaime pas » ou « Ce groupe, jâai jamais compris », – ça paraĂźt mĂȘme essentiel, câest ça qui fait le sel des goĂ»ts de chacun – mais câest quelque chose quâon ne retrouve pas toujours dans la presse Ă©crite. As-tu des idĂ©es lĂ -dessus ?
Oui j’ai quelques idĂ©es. Dire ou Ă©crire « j’aime » ou « j’aime pas » est interdit par la psychorigiditĂ© du journalisme professionnel. Mais il y a Ă©galement cette pratique qui consiste â sur le web â a donner en pĂąture et en avant-premiĂšre un disque via un player intĂ©grĂ© ou une vidĂ©o mais sans donner rĂ©ellement d’avis, c’est de l’Ă©criture Ă©vĂ©nementielle, de la recherche de buzz. Et j’en ai vraiment rien Ă foutre. Sinon donner son avis est dangereux lorsqu’on vend des espaces publicitaires et que l’on passe son temps Ă gratter des disques promotionnels ou des places de concert gratuites pour occuper ses soirĂ©es.
Tâest-il arrivĂ© dâavoir des retours nĂ©gatifs sur un article ?
Oui j’en ai eu Ă l’Ă©poque de Heavy Mental mais pour l’instant pas pour Instant Bullshit alors qu’il y a un formulaire de contact en bas Ă droite sur la page du blog pour qui souhaiterait me contacter mais personne ne l’a encore fait. En moyenne une personne passe moins d’une minute sur une page internet ne comprenant que des mots mais aucune vidĂ©o ni aucun extrait musical : la lecture assidue est devenue un vĂ©ritable acte de bravoure⊠alors rĂ©agir avec des mots Ă d’autres mots c’est carrĂ©ment de la science fiction dans un monde oĂč avoir l’air de rĂ©flĂ©chir est plus important que la rĂ©flexion en elle-mĂȘme.
Quelles sont les publications, papier et numĂ©rique, que tu consultes aujourdâhui et pourquoi?
Je lis Perte & Fracas, Des Cendres A La Cave, Le Monde, Le Monde Diplomatique, Courrier International, Le Figaro et quelques autres trucs lorsque je tombe sur un article dont le sujet m’intĂ©resse. Mais je consulte surtout des sites d’informations alternatives et d’opinions contrastĂ©es (rebellyon.info par exemple).

Tu fais Ă©galement des photos de concerts, quâon retrouve rĂ©guliĂšrement sur Instant Bullshit et qui ont aussi fait lâobjet, je crois, dâexpositions. Peux-tu nous parler un peu de ton approche la photographie ?
La plupart des photos que je prends sont plutĂŽt visibles sur mon flickr oĂč il y a un album consacrĂ© aux photos de concerts et un autre avec tout le reste : des paysages, mes enfants, des photos de rues, etc. Je n’expose pas vraiment â seulement cinq fois Ă ce jour dont deux expositions collectives â parce que j’ai la flemme. Pendant longtemps je n’ai pas voulu faire de photos parce que c’est liĂ© Ă mon histoire familiale et que j’ai tout fait pour rejeter celle-ci. Puis j’ai fini par grandir (enfin, pas trop non plus) et j’ai voulu documenter les concerts oĂč je me rends. J’aime le noir et blanc trĂšs contrastĂ© et j’aime faire des instantanĂ©s avec des gens qui bougent Ă l’intĂ©rieur du cadre, donc faire des photos de concerts est idĂ©al pour moi. Mais honnĂȘtement je n’y connais pas grand chose, je suis incapable de te citer des « grands photographes » qui me touchent – exception notoire : certains vieux trucs de Jan Saudek – ou de te parler technique. En plus ça m’emmerde un peu, presque autant que les conversations entre fans de sport. J’ai appris par moi-mĂȘme, je me suis au point tout seul des petites techniques un peu fainĂ©antes mais qui donnent illusion de faire le taf. Du moins, je l’espĂšre. Et puis, une photo, ce n’est pas une simple reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© mais (donc) une illusion transformĂ©e de celle-ci, figĂ©e, et des fois mĂȘme presque mortuaire. Une photo doit montrer ou exprimer quelque chose et comme ce quelque chose est la plupart du temps inexprimable (comme l’Ă©motion et l’ambiance d’un concert) il s’agit de faire autrement, une image qui se rapproche des fois Ă peine de ce que l’on a ressenti. Je ne crois pas en l’objectivitĂ© et en la neutralitĂ© du photographe ou du preneur d’image. Ou alors on parle de camĂ©ra de surveillance et de totalitarisme du reflet d’un miroir sans tain.
Tu vas trÚs réguliÚrement voir des concerts, quel est ton impression la scÚne lyonnaise actuelle, que ce soit du point de vue des groupes, des salles, du public ou autre ?
La musique Ă Lyon est trĂšs prĂ©sente et trĂšs variĂ©e. Je n’aime pas parler de « scĂšne », ça fait gĂ©ographe, sectaire ou patriote, bref un truc qui pue. Il y a des groupes, des salles, des orgas, des concerts, des publics et c’est tout. Mais c’est trĂšs cool tout ce foisonnement Ă portĂ©e de main. En plus, les concerts Ă Lyon restent abordables financiĂšrement â du moins ceux auxquels je me rends â et l’Ă©thique Do It Yourself / Do It Together est trĂšs prĂ©sente et importante. Bien sĂ»r, il y a quelques tocards qui se la jouent rebelles du rock’n’roll, comme de partout j’imagine. Mais, globalement, habiter dans cette ville est une chance, oui, mĂȘme si sur beaucoup d’autres plans ça craint (le nettoyage et la gentrification des quartiers populaires, la surenchĂšre immobiliĂšre, Lyon capitale de l’extrĂȘme-droite europĂ©enne, la fĂȘte du Beaujolais, la fĂȘte des LumiĂšres, les Nuits Sonores, le harcĂšlement des contrĂŽleurs dans les transports en commun alors que bus et mĂ©tros devraient ĂȘtre gratuits pour les gens dĂ©munis, GĂ©rard Collomb, l’Olympique Lyonnais et ses supporters dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s, l’hypocrisie de la MĂ©tropole face au problĂšme des rĂ©fugiĂ©s, je pense notamment Ă ceux qui sont parquĂ©s depuis des mois dans l’ancien collĂšge Maurice ScĂšve dans le 4Ăšme arrondissement, etc).

Et le meilleur groupe lyonnais en ce moment, câest qui ?
Je ne sais pas ce que signifie « meilleur groupe lyonnais » mais je peux citer quelques groupes que j’aime bien en ce moment comme Neige Morte, Balladur, TĂŽle Froide, Bleakness, HĂžrdĂŒr, Grand Veymont, François Virot Band, Warfuck, Schleu !, SalĂł, Kouma, Chromb !, MeurtriĂšres, Contractions, Monplaisir ou Ursa. Mais mes prĂ©fĂ©rĂ©s restent Tombouctou. J’avais littĂ©ralement adorĂ© le premier album et je sais que le groupe a dĂ©sormais suffisamment de nouvelles compositions pour enregistrer un deuxiĂšme LP, j’aimerais vraiment qu’il y arrive.
Les photos des groupes sont bien évidemment de Hazam. Merci à toi.
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