Noiss, « Deafening » EP

C’Ă©tait cool, le grunge, les chemises Ă  carreaux, tout ça… et il y avait mĂȘme de sacrĂ©s bons groupes dans le lot. Mais je dois dire que ce n’est pas le mouvement musical qui a le plus retenu mon attention et, lorsqu’un groupe se rĂ©clame haut et fort de ce courant, j’y vais avec une curiositĂ© assez prudente. AprĂšs un premier ep sympathique, Noiss reviennent aux affaires avec cette deuxiĂšme galette enregistrĂ©e au Purple Sheep Studio et qui commence Ă  se rapprocher sĂ©rieusement, on imagine, de l’idĂ©al de sueur et de gros riffs des ChambĂ©riens. Tout y est, la scĂšne est presque parfaite. Le son, la voix rocailleuse, on les voit, on les entend, on les sent sur scĂšne. Nul doute que que Noiss est un groupe sincĂšre qui en veut et qui croit Ă  sa ligne musicale et c’est une des qualitĂ©s de ces morceaux de ne pas trop en faire pour laisser parler ses idĂ©es, comme sur l’instrumental tout simple « Enjoy this day », ou mettre en valeur les lignes vocales Ă©raillĂ©es. MĂȘme si ces cinq morceaux s’appuient largement sur des recettes qui ont maintes et maintes fois fait leurs preuves, leur force de conviction emporte tout de mĂȘme l’adhĂ©sion et doivent certainement faire leur effet en live. Seulement, seulement, on adorerait que ce groupe, tout en gardant les racines qui font son identitĂ© musicale, nous emmene ailleurs, dans un endroit qu’on ne connaisse pas dĂ©jĂ .

>>>>>>>>>> NOISS

« Perceptions sous perfusion » (Johanna Perret, « Soluble » – L’Angle)

RangĂ©e de surfaces planes, opaques. Quasi-monochromes francs, texturĂ©s. L’oeil qui s’approche dĂ©tache tout Ă  coup des silhouettes fantomatiques. Un pylone, l’ombre d’une installation, la forme d’un bouquetin, la ligne de crĂȘte d’un sommet. Le Mont-Blanc et sa chaĂźne, carte postale des cartes postales, dĂ©coupĂ© en un tryptique momumental – « L’halali » – noyĂ© sous des volutes de brun. Des couleurs qui bercent l’oeil mais ces anti-apparitions suscitent des rĂ©actions mĂ©lĂ©es, entre la surprise de la rencontre et l’angoisse de l’effacement.

Johanna Perret est une jeune plasticienne travaillant dans la vallĂ©e de l’Arve, dont les thĂ©matiques artistiques sont Ă©troitement liĂ©es au lieu qu’elle habite. L’exposition « Soluble », visible Ă  l’Angle de janvier Ă  mars*, prĂ©sentait plusieurs sĂ©ries de tableaux et une installation, tous créés pour l’occasion. Aux reprĂ©sentations figuratives vulnĂ©rables, menacĂ©es de disparition, rĂ©pondent les peintures abstraites. PrĂ©cipitĂ©s de couleurs irisĂ©es (cet effet arc-en-ciel des flaques de carburant des stations-services mais qui, ici, fait d’abord rĂ©fĂ©rence aux huiles utilisĂ©es dans les usines de dĂ©colletage, appellĂ©es justement « solubles »), by-product industriel Ă©levĂ© au rang d’objet esthĂ©tique, matĂ©riau qui prend le pas sur la reprĂ©sentation et prend en charge la signification.

Les tableaux dialoguent eux-mĂȘmes avec une installation d’amas de pierres gris-bleu, disposĂ©s Ă  mĂȘme le sol ou dans les cagettes mĂ©talliques oĂč les dĂ©colleteurs faisaient tomber leurs piĂšces. MatĂ©rialitĂ© pure. MillĂ©naires en miettes. Montagne concassĂ©e. Montagne matĂ©riau, mise Ă  disposition, offerte au regard sans mode d’emploi, qui interroge silencieusement l’usage que nous faisons du monde et son histoire.

Les artistes qui portent un regard Ă  la fois esthĂ©tique et politique sur le lieu oĂč ils vivent – notamment en rĂ©gion de montagne – ne sont pas lĂ©gions et ceux dont le travail est lisible, accessible Ă  tous, encore moins. « Soluble » est une dĂ©couverte enthousiasmante, un projet et une artiste qui donnent envie de les suivre et qui trouveront, espĂ©rons, le public large qu’ils mĂ©ritent.

*Mise Ă  jour juin 2020 : l’exposition est encore visible Ă  l’Angle jusqu’au 26 juin sur RDV.

>>>>>>>>>> JOHANNA PERRET

>>>>>>>>>> L’ANGLE

Cutter

Cutter est nĂ© dans le garage de JB (ex-Prejudice GVA) sous le nom Kill all the goats, avec Pascal Ă  la batterie et Tom Ă  la guitare/voix. Le premier concert s’est fait dans le chalet d’un copain qui fĂȘtait l’obtention de sa nationalitĂ© française et le dernier au Bistro des Tilleuls avec le groupe russe Jars. A l’Ă©poque du premier concert, c’est dĂ©jĂ  ChloĂ© qui avait repris la basse et le groupe s’appelait Catalgine, en rĂ©fĂ©rence Ă  un morceau de Carther-Matha, groupe qui appartient Ă  la prĂ©histoire du hardcore DIY en France. C’est Ă©galement avec ChloĂ© que Catalagine enregistre sa dĂ©mo/EP « 5500 slippery goats », dans le sous-sol d’un copain qui s’Ă©tait construit un petit studio. C’est par cette enregistrement que Julien dĂ©couvre le groupe et finalement le rejoint quand ChloĂ© lache le poste de bassiste. Le groupe change de nouveau de nom pour Cutter. La meilleur Ă©tiquette qu’il ait reçue, c’est « noise-rock 80s » – bien qu’on voit pas trĂšs bien Ă  quoi ça peut correspondre mais sĂ»rement un truc bien primitif. Les gens font aussi rĂ©guliĂšrement rĂ©fĂ©rence Ă  Rage against the machine pour parler du groupe. FaĂźtes attention Ă  ce que vous dĂźtes, quand mĂȘme, les gens.

Salut Andrew, Julien La Machine, Olive LowLightConditions et Smutt, Deaf Lingo, Disco-Boule, Nevraska, Flo Cosmique et son Orchidée, Nurse et la Poulpe family, Don Aman, Milkshaker, Fisted by a priest, Julien Chateau-rouge, DKDance, Sheik Anorak et Shaakalens Bror, Jars, Dewaere !

Merci aux Tanneries de Rumilly, Ă  Greg et son Poulpe, Ă  Swoltan, Alexandre et aux Digital natives, aux Pirates et Ă  leur Brasserie, Ă  ceux qui partent en Spirale et Ă  ceux qui tisent sous les Tilleuls et Ă  ceux qu’on oublie !

Cutter is fucking dead !

>>>>>>>>>> CATALGINE

>>>>>>>>>> CUTTER

PS Bon, si jamais, Pascal cherche Ă  monter un projet post-punk/cold/EBM, Julien est partant pour faire la basse dans ton groupe deathcore/Hardcore/Slam/etc. et Tom est au Poulpe tous les vendredis soirs…

Taulard, « Dans la plaine » LP

AprĂšs avoir rĂŽdĂ© aux abord du lycĂ©e, voilĂ  que Taulard nous emmĂšne dans la plaine. DeuxiĂšme album sorti en catimini, Ă  se demander mĂȘme si ça ne les dĂ©range pas, qu’on parle d’eux. En mĂȘme temps, cette discrĂ©tion, ça va bien Ă  leur musique pas prĂ©tentieuse pour un sou, qui semble faite pour ĂȘtre distribuĂ©e de la main Ă  la main, le groupe de copains de copains.

Pas vraiment de grande surprise Ă  l’Ă©coute de ces 11 titres dans le droit fil de ce que le groupe a fait jusque-lĂ . Toujours ce rock alternatif Ă  synthĂ© dĂ©lurĂ© – Ă  peine un passage reggae vient prendre le contre-pied sur un morceau, un peu façon Bad Brains – et ces textes dĂ©sarmants qui donnent envie de tendre l’oreille pour entendre l’histoire jusqu’Ă  la fin. Les hĂ©sitations, les dĂ©goĂ»ts, les impasses, les noeuds psychologiques exposĂ©s sans fard et les espaces gĂ©ographiques ouverts, comme refuges, comme antidotes. L’air de rien, l’Ă©criture de Taulard capture au vol un trouble indĂ©finissable, une nostalgie poignante omniprĂ©sente qui ne dit pas son nom. Si certains textes versent un peu dans l’anecdotique, d’autres, comme « Dans la plaine » et son Ă©vocation des saisons d’Ă©tĂ©, sont Ă  Ă©couter absolument.

Taulard, « Dans la plaine » LP (Broderie records)

>>>>>>>>>> TAULARD

Yoke, « Posture » EP

AprĂšs « Immorale Ă©motion », le terroriste sonore chambĂ©rien Yoke revient avec 4 nouveaux morceaux, cette fois publiĂ©s sous l’Ă©gide d’un label, Larmes – mais uniquement en format numĂ©rique semble-t-il – et donne une suite Ă  ses plongĂ©es sonores, ses chutes dans un espace sombre, magnĂ©tique et sans fond. Environnement sonore sculptĂ© – au grain plus fin peut-ĂȘtre que sur l’enregistrement prĂ©cĂ©dent. Motifs qui s’entrechoquent, Ă©chos d’une scĂšne inidentifiable, bloquĂ©s sur une rĂ©pĂ©tition cauchemardesque. InquiĂ©tantes mĂ©caniques sourdes qui travaillent en profondeur. Entre prĂ©cision maniaque et dĂ©litement des repĂšres auditifs, les narrations sonores de Yoke dĂ©roulent leurs paysages angoissants, hors-contrĂŽles, poursuivent leur lancinant travail de sape.

>>>>>>>>>> YOKE

>>>>>>>>>> LARMES

Mornifle « s/t » EP

Quand on demande quels sont les groupes locaux qui ont marquĂ©, les noms de Inner suffering et Human side reviennent rĂ©guliĂšrement et ce n’est pas un hasard si on retrouve leurs membres dans les formations actuelles les plus intĂ©ressantes. Nevraska, bien sĂ»r, dont le deuxiĂšme album est en prĂ©paration, et Komodo experience – trio instrumental dont l’existence aura Ă©tĂ© Ă©courtĂ©e par le dĂ©part d’un guitariste. Mornifle reprend les choses lĂ  oĂč Komodo les avaient laissĂ©es mais rebat les cartes. Sous ce pseudonyme potache, on retrouve Fabien, qui quitte la basse pour passer Ă  la guitare, Quentin (ex-Sayoni ma et MC Al Ouatta) prend le poste de bassiste et Kick est Ă  la batterie mais seulement le temps de cet enregistrement puisque, dĂ©sormais batteur de Nevraska, il va laisser sa place Ă  Simon (We are the incredible noise, Cadet massive). Joli jeu de chaises musicales.

Pour son premier essai discographique, le trio frappe fort et abat d’entrĂ©e de jeu 6 titres, dans lesquels on reconnait immĂ©diatement le groove surpuissant et les compositions Ă  tiroirs caractĂ©ristiques. Les musiciens connaissent leur grammaire convergienne sur le bout des doigts – sans jeu de mot, hein – et « Pouce », « Majeur » et Paume » donnent quelques beaux moments de hardcore impĂ©tueux et sombre, plein de bourrasques glaciales et de break dantesques. Mornifle, disaient-ils.

Mais, y’a pas Ă  dire, le rock instrumental, surtout en trio, ça va quand mĂȘme pas tout Ă  fait de soi. L’absence de voix dĂ©voile fatalement le caractĂšre linĂ©aire de toute composition et, de ce point-de-vue, certaines tirent mieux leur Ă©pingle du jeu que d’autres. « Index » titille dĂ©jĂ  l’oreille avec une mĂ©lodie de guitare joueuse mais c’est surtout « Annulaire » qui bifurque et créé la surprise. Prenant ses distances avec les plans testĂ©ronĂ©s, ce morceau ose des mĂ©lodies plus Ă©videntes, plus fun, et dessine un espĂšce de prog futuriste survitaminĂ© vraiment emballant, un peu comme un TransAm metallique. Comme par magie, chaque instrument trouve sa place et l’alchimie entre la batterie surpuissante, le groove de la basse et une guitare inventive et bien dosĂ©e se fait ici naturelle et particuliĂšrement aigue. « Auriculaire » continue sur cette lancĂ©e en prĂ©fĂ©rant au dĂ©filement des plans prendre le temps de dĂ©velopper son riff accrocheur.

Mornifle a eu bien raison de mettre les bouchĂ©es doubles pour ce premier opus qui ouvre des brĂšches et laisse entrevoir des perspectives dont on a hĂąte de voir quelles suites le groupe va leur donner. En attendant, c’est une excellente surprise qu’on espĂšre bientĂŽt goĂ»ter en concert. Welcome Mornifle !

>>>>>>>>>> MORNIFLE

Churros batiment, « 19 mars » EP

Rien Ă  voir avec le Covid-19 – quoique – mais le monde devient vraiment cold-wave ces temps-ci. Heureusement que certains groupes conservent du mordant et c’est le cas du duo grenoblois Churros batiment, qui vient de sortir un EP 4 titres, composĂ© intĂ©gralement pendant la pĂ©riode de confinement. Du surrĂ©aliste « Termite horrible » aux plus directs « Il tombe » et « Adorable traĂźtre », le groupe hybride une chanson Ă  fleur de peau et trĂšs Ă©crite et un Ă©lectro sombre et assez crade, pour un rĂ©sultat jouissif et hyper convaincant. Comme c’est le cas depuis leurs dĂ©buts, d’ailleurs. A dĂ©couvrir et Ă  suivre !

>>>>>>>>>> CHURROS BATIMENT

« 666 révolutions par minute » : une interview de Hazam/Instant bullshit

On n’Ă©coute pas de la musique tout seul. On l’Ă©coute parce quelqu’un vous a dit de l’Ă©couter. Au fil des publications pour lesquelles il a Ă©crit – actuellement son blog Instant bullshit -, Hazam ne cesse de dĂ©rouler une pelotte de musiques dĂ©viantes et intranquilles. Punk, noise, musiques expĂ©rimentales ou avant-gardistes, selon l’humeur et les rencontres. Chroniques de disques, reports de concerts, dĂ©filĂ© non-stop d’Ă©crits souvent labyrinthiques. Je suis allĂ© l’interrompre un moment avec quelques questions.

Hello Hazam, quand as-tu commencĂ© Ă  Ă©crire ? Peux-tu nous faire un historique des publications et supports pour lesquels tu as Ă©crit ?

J’ai d’abord commencĂ© par faire de la radio, j’Ă©tais au lycĂ©e, j’Ă©coutais dĂ©jĂ  beaucoup de musique et j’ai trouvĂ© dans la radio le moyen de faire quelque chose avec ce qui Ă©tait devenu pour moi une passion et celui de dĂ©couvrir toujours plus de groupes, de disques, de musiques. Lorsque j’ai pu lĂ©galement partir de chez mes parents j’ai dĂ©barquĂ© dans la grande ville la plus proche (Lyon) oĂč j’ai cherchĂ© et rapidement trouvĂ© une radio qui me corresponde : c’Ă©tait Radio Canut oĂč je suis restĂ© une douzaine d’annĂ©es. À radio Canut je faisais des Ă©missions seul aussi j’ai commencĂ© Ă  parler de plus en plus entre les disques que je passais et c’est ainsi que j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire, d’abord des simples notes puis de vĂ©ritables petits textes. D’autres Ă  Canut – Jean-Mi, futur BĂ€stard ou Stef, futur boss du Sonic – ont fait exactement le chemin inverse et ont choisi de ne plus parler et au contraire de mĂ©langer les disques, les sons et de se diriger vers toujours plus de crĂ©ation sonore. Puis j’ai rencontrĂ© des gens qui m’ont proposĂ© d’Ă©crire des articles pour des supports papier (et aprĂšs pour des sites internets) et depuis je continue d’Ă©crire, principalement pour moi, pour ma propre gazette.

Ursa

Tu as collaborĂ© Ă  plusieurs webzines comme Le ZĂšbre ou Perte & fracas, et tu es revenu Ă  un support individuel, le blog Instant Bullshit, y a-t-il une raison particuliĂšre ?

J’ai aussi Ă©crit pour un journal papier gratuit lyonnais Ă  tendance culturelle gĂ©nĂ©raliste pendant presque quinze ans, j’ai un temps collaborĂ© Ă  un journal musical national distribuĂ© en kiosque mais finalement je suis un solitaire et un Ă©goĂŻste, je prĂ©fĂšre travailler pour ma gueule, sans compter que j’ai un sĂ©rieux problĂšme avec les connards pour qui dans les mots « rĂ©dacteur en chef » c’est le « chef » le plus important (cette remarque fonctionne aussi avec « directeur de publication » et « directeur »). Ce qui ne m’interdit pas de prendre part Ă  des projets collectifs de temps en temps, si on me le demande et bien sĂ»r si cela me branche (par exemple l’annĂ©e derniĂšre j’ai Ă©crit un ou deux textes pour un livre).
Pour moi Ă©crire est quelque chose de vital mais je n’ai aucune imagination, je ne sais pas inventer des histoires et rĂ©flĂ©chir n’est pas mon fort non plus donc Ă©crire sur la musique et chroniquer des disques me permet de conjuguer deux des trois ou quatre choses parmi les plus importantes dans ma vie et en mĂȘme temps cela me donne un cadre, des contraintes, et donc l’Ă©nergie et les idĂ©es nĂ©cessaires pour assouvir ce besoin et cette envie d’écriture. Ceci dit l’expĂ©rience Perte & Fracas a Ă©tĂ© essentielle pour moi, elle s’est dĂ©roulĂ©e en deux temps et lorsqu’en 2014 Xavier est revenu vers moi pour que je réécrive dans Perte & Fracas cela m’a en quelque sorte sauvĂ©, j’Ă©tais au bord de graves problĂšmes personnels et d’Ă©preuves de vie et Ă©crire pour PeF a alors Ă©tĂ© salutaire. Il y a dans certaines chroniques Ă©crites Ă  cette Ă©poque et un peu plus tard des mots qui parlent de tout ça, du fracas de l’existence, de la chute, de la dĂ©pression, des amours perdues, de la mort. Puis j’ai laissĂ© tomber Xavier et Perte & Fracas sans crier gare, assez lĂąchement, parce que je n’en avais plus besoin, et je ne m’en suis jamais excusĂ©. Mais que Xavier soit ici remerciĂ©, mĂȘme s’il ne sait pas exactement ce qu’il a fait pour moi.

Je ne sais pas si Instant Bullshit a une ligne Ă©ditoriale explicite, mais si il y en avait une, qu’est-ce-que ce serait ?

La ligne Ă©ditoriale tourne uniquement autour de mon nombril et dĂ©pend du temps que je passe Ă  le caresser (des fois je n’en ai pas le temps, d’autres fois je ne fais que ça, c’est tellement dĂ©licieux). Je parle donc de musiques et de disques que j’aime ou de musiques et de disques que j’aime dĂ©tester. C’est le reflet de mon Ă©goĂŻsme et de mon narcissisme. Parce que ça me plaĂźt.

Neige morte

Pourquoi et pour qui Ă©cris-tu ? Ou, autrement dit, quel est le sens d’une publication comme Instant Bullshit dans la scĂšne musicale actuelle ?

Je ne sais pas et je m’en fous. Il y a des chroniques qui plaisent, d’autres non. Il m’arrive d’avoir des rĂ©actions Ă  certains de mes textes mais ces rĂ©actions sont rarement argumentĂ©es, c’est plus du genre : « ah c’est cool tu fais partie des rares personnes Ă  avoir parlĂ© de ce disque Â» donc c’est comme un « like Â» ou un « cƓur Â» sur un rĂ©seau social, ça ne veut pas dire grand chose.

Tu Ă©cris des chroniques de disques et de concerts mais tu ne fais pas d’interview. Pourquoi ?

Je ne sais pas trop parler aux gens. Quand j’ai besoin de dire quelque chose Ă  une personne je prĂ©fĂšre lui Ă©crire. Alors faire des interviews
 c’est difficile pour moi et cela l’est de plus en plus. Lorsque je vais Ă  un concert je prĂ©fĂšre me cacher derriĂšre mon appareil photo plutĂŽt que d’avoir de rĂ©elles discussions.

Je crois que, comme moi, tu a commencĂ© Ă  Ă©couter de la musique Ă  un moment oĂč les fanzines jouaient un grand rĂŽle. Est-ce que c’est quelque chose qui a Ă©tĂ© important pour toi ?

Oui et j’en ai plein chez moi. Je suis trĂšs heureux de constater que depuis quelques annĂ©es les fanzines reviennent Ă  la vie, que des gens veulent Ă  nouveau imprimer des mots, Ă©crire sur leurs idĂ©es, leurs ressentis, et que cela soit sur autre chose qu’une page web Ă  peine consultable sur l’Ă©cran microscopique d’un tĂ©lĂ©phone pseudo intelligent. Mais je ne suis pas assez courageux pour faire de mĂȘme : Ă©crire pour un blog c’est tellement plus confortable et pneumatique.

Y a-t-il des personnes dont le style d’écriture t’ont particuliĂšrement marquĂ© et donnĂ© envie d’écrire sur la musique ?

Je ne sais pas trop
 Les bouquins sur la musique sont souvent tellement mal Ă©crits ! Et je ne te parle mĂȘme pas des autobiographies de musiciens. Pourtant je lis beaucoup de livres sur et autour de la musique : le sujet m’intĂ©resse beaucoup plus que le style employĂ©, que la forme. J’aimerais pourtant bien te citer Lester Bangs mais ce type est tellement inatteignable, jusque dans ses erreurs d’apprĂ©ciation, d’ailleurs
 Et puis j’aime beaucoup ces auteurs qui Ă©crivent des romans et des rĂ©cits que je peux lire un peu de la mĂȘme façon que j’Ă©coute un disque qui me plait et me touche : Bukowski, Fante (pĂšre et fils), Philip K. Dick, Roberto Bolaño, Harry Crews, Jack London, Norman Mailer (enfin, principalement pour « Un RĂȘve AmĂ©ricain Â»), beaucoup d’auteurs amĂ©ricains, en fait.

Emilie Zoé

Je voulais aussi te poser une question sur la nĂ©gativitĂ© et l’intransigeance. Quand on parle de musique avec une personne, on dit  « Ă‡a, j’aime pas Â» ou « Ce groupe, j’ai jamais compris », – ça paraĂźt mĂȘme essentiel, c’est ça qui fait le sel des goĂ»ts de chacun – mais c’est quelque chose qu’on ne retrouve pas toujours dans la presse Ă©crite. As-tu des idĂ©es lĂ -dessus ?

Oui j’ai quelques idĂ©es. Dire ou Ă©crire « j’aime Â» ou « j’aime pas » est interdit par la psychorigiditĂ© du journalisme professionnel. Mais il y a Ă©galement cette pratique qui consiste – sur le web – a donner en pĂąture et en avant-premiĂšre un disque via un player intĂ©grĂ© ou une vidĂ©o mais sans donner rĂ©ellement d’avis, c’est de l’Ă©criture Ă©vĂ©nementielle, de la recherche de buzz. Et j’en ai vraiment rien Ă  foutre. Sinon donner son avis est dangereux lorsqu’on vend des espaces publicitaires et que l’on passe son temps Ă  gratter des disques promotionnels ou des places de concert gratuites pour occuper ses soirĂ©es.

T’est-il arrivĂ© d’avoir des retours nĂ©gatifs sur un article ?

Oui j’en ai eu Ă  l’Ă©poque de Heavy Mental mais pour l’instant pas pour Instant Bullshit alors qu’il y a un formulaire de contact en bas Ă  droite sur la page du blog pour qui souhaiterait me contacter mais personne ne l’a encore fait. En moyenne une personne passe moins d’une minute sur une page internet ne comprenant que des mots mais aucune vidĂ©o ni aucun extrait musical : la lecture assidue est devenue un vĂ©ritable acte de bravoure
 alors rĂ©agir avec des mots Ă  d’autres mots c’est carrĂ©ment de la science fiction dans un monde oĂč avoir l’air de rĂ©flĂ©chir est plus important que la rĂ©flexion en elle-mĂȘme.

Quelles sont les publications, papier et numĂ©rique, que tu consultes aujourd’hui et pourquoi?

Je lis Perte & Fracas, Des Cendres A La Cave, Le Monde, Le Monde Diplomatique, Courrier International, Le Figaro et quelques autres trucs lorsque je tombe sur un article dont le sujet m’intĂ©resse. Mais je consulte surtout des sites d’informations alternatives et d’opinions contrastĂ©es (rebellyon.info par exemple).

Dewaere

Tu fais Ă©galement des photos de concerts, qu’on retrouve rĂ©guliĂšrement sur Instant Bullshit et qui ont aussi fait l’objet, je crois, d’expositions. Peux-tu nous parler un peu de ton approche la photographie ?

La plupart des photos que je prends sont plutĂŽt visibles sur mon flickr oĂč il y a un album consacrĂ© aux photos de concerts et un autre avec tout le reste : des paysages, mes enfants, des photos de rues, etc. Je n’expose pas vraiment – seulement cinq fois Ă  ce jour dont deux expositions collectives – parce que j’ai la flemme. Pendant longtemps je n’ai pas voulu faire de photos parce que c’est liĂ© Ă  mon histoire familiale et que j’ai tout fait pour rejeter celle-ci. Puis j’ai fini par grandir (enfin, pas trop non plus) et j’ai voulu documenter les concerts oĂč je me rends. J’aime le noir et blanc trĂšs contrastĂ© et j’aime faire des instantanĂ©s avec des gens qui bougent Ă  l’intĂ©rieur du cadre, donc faire des photos de concerts est idĂ©al pour moi. Mais honnĂȘtement je n’y connais pas grand chose, je suis incapable de te citer des « grands photographes Â» qui me touchent – exception notoire : certains vieux trucs de Jan Saudek – ou de te parler technique. En plus ça m’emmerde un peu, presque autant que les conversations entre fans de sport. J’ai appris par moi-mĂȘme, je me suis au point tout seul des petites techniques un peu fainĂ©antes mais qui donnent illusion de faire le taf. Du moins, je l’espĂšre. Et puis, une photo, ce n’est pas une simple reprĂ©sentation de la rĂ©alitĂ© mais (donc) une illusion transformĂ©e de celle-ci, figĂ©e, et des fois mĂȘme presque mortuaire. Une photo doit montrer ou exprimer quelque chose et comme ce quelque chose est la plupart du temps inexprimable (comme l’Ă©motion et l’ambiance d’un concert) il s’agit de faire autrement, une image qui se rapproche des fois Ă  peine de ce que l’on a ressenti. Je ne crois pas en l’objectivitĂ© et en la neutralitĂ© du photographe ou du preneur d’image. Ou alors on parle de camĂ©ra de surveillance et de totalitarisme du reflet d’un miroir sans tain.

Tu vas trĂšs rĂ©guliĂšrement voir des concerts, quel est ton impression la scĂšne lyonnaise actuelle, que ce soit du point de vue des groupes, des salles, du public ou autre ?

La musique Ă  Lyon est trĂšs prĂ©sente et trĂšs variĂ©e. Je n’aime pas parler de « scĂšne Â», ça fait gĂ©ographe, sectaire ou patriote, bref un truc qui pue. Il y a des groupes, des salles, des orgas, des concerts, des publics et c’est tout. Mais c’est trĂšs cool tout ce foisonnement Ă  portĂ©e de main. En plus, les concerts Ă  Lyon restent abordables financiĂšrement – du moins ceux auxquels je me rends – et l’Ă©thique Do It Yourself / Do It Together est trĂšs prĂ©sente et importante. Bien sĂ»r, il y a quelques tocards qui se la jouent rebelles du rock’n’roll, comme de partout j’imagine. Mais, globalement, habiter dans cette ville est une chance, oui, mĂȘme si sur beaucoup d’autres plans ça craint (le nettoyage et la gentrification des quartiers populaires, la surenchĂšre immobiliĂšre, Lyon capitale de l’extrĂȘme-droite europĂ©enne, la fĂȘte du Beaujolais, la fĂȘte des LumiĂšres, les Nuits Sonores, le harcĂšlement des contrĂŽleurs dans les transports en commun alors que bus et mĂ©tros devraient ĂȘtre gratuits pour les gens dĂ©munis, GĂ©rard Collomb, l’Olympique Lyonnais et ses supporters dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s, l’hypocrisie de la MĂ©tropole face au problĂšme des rĂ©fugiĂ©s, je pense notamment Ă  ceux qui sont parquĂ©s depuis des mois dans l’ancien collĂšge Maurice ScĂšve dans le 4Ăšme arrondissement, etc).

France

Et le meilleur groupe lyonnais en ce moment, c’est qui ?

Je ne sais pas ce que signifie « meilleur groupe lyonnais Â» mais je peux citer quelques groupes que j’aime bien en ce moment comme Neige Morte, Balladur, TĂŽle Froide, Bleakness, HĂžrdĂŒr, Grand Veymont, François Virot Band, Warfuck, Schleu !, SalĂł, Kouma, Chromb !, MeurtriĂšres, Contractions, Monplaisir ou Ursa. Mais mes prĂ©fĂ©rĂ©s restent Tombouctou. J’avais littĂ©ralement adorĂ© le premier album et je sais que le groupe a dĂ©sormais suffisamment de nouvelles compositions pour enregistrer un deuxiĂšme LP, j’aimerais vraiment qu’il y arrive.

Les photos des groupes sont bien évidemment de Hazam. Merci à toi.

>>>>>>>>>> INSTANT BULLSHIT

>>>>>>>>>> SITE PHOTOS

>>>>>>>>>> ET UN AUTRE

Untitled with drums, « Hollow » LP

Faudrait ĂȘtre sourd pour ne pas entendre, dĂšs les premiers accords de Hollow, qu’il y a eu du changement chez les clermontois de Untitled with drums. EnregistrĂ© par Serge Morratel, ce nouveau LP montre un visage assez diffĂ©rent d’un groupe dont le premier disque avait vraiment Ă©tĂ© une bonne surprise. Exit l’ambiance rĂ©verbĂ©rĂ©e qui baignait leur musique dans un halo cotonneux, exit aussi la voix tĂ©nue et cet Ă©quilibre de funambule Ă  la The Cure entre pesanteur et douceur Ă©thĂ©rĂ©e. Place aux grosses guitares, Ă  la basse massive et distordue et un chant dans l’ensemble plus viril, bien qu’il s’agisse du mĂȘme chanteur. Une formule sonore, une identitĂ© musicale modifiĂ©e en profondeur, au risque de dĂ©sorienter ceux qui avaient accrochĂ© au premier disque.

PassĂ©e cette premiĂšre impression dĂ©concertante, les morceaux en viennent de toute façon Ă  mener leur existence propre et, au fil des Ă©coutes, on retrouve les qualitĂ©s d’écriture indĂ©niables d’Untitled with drums. Leur maniĂšre de constuire sur des progressions d’accords rĂ©duites au minimum, de les faire vibrer ou de les mettre Ă  genoux d’une touche de synthĂ© ou d’une inflexion de voix. Une certaine lenteur assummĂ©e, aussi, qui provoque ces sensations de dĂ©collage et d’apesanteur assez classes. Si « Play with fire » ouvre le disque tambour battant, la majoritĂ© des titres de Hollow sont des semi-slows Ă©motionnels et surpuissants, qui pourraient rapprocher le groupe de formations comme les Smashing pumpkins ou, plus proche de nous, Impure wilhelmina. Selon l’humeur, leur construction peut Ă©blouir et charmer mais cette harmonie peut parfois aussi donner l’impression d’ĂȘtre un peu lisse, un peu trop parfaite.

J’avoue avoir une prĂ©fĂ©rence pour le Untitled premiĂšre incarnation. Celle-ci n’est pas dĂ©plaisante mais elle laisse l’impression d’abandonner certaines potentialitĂ©s du groupe en route. Le son Ă©norme taillĂ© par Morratel est un tremplin autant qu’il est un piĂšge potentiel. Avec ce disque ambivalent qui privilĂ©gie nettement la puissance au dĂ©triment de la finesse, Untitled with drums confirme son talent mais laisse aussi penser qu’une autre suite de l’histoire est possible.

Untitled with drums, « Hollow » LP (Seein red records, Araki records, Brigante records, Atypeek music)

>>>>>>>>>> UNTITLED WITH DRUMS

« Au coeur de la machine Girl band » (Banque alimentaire, 12 fév.)

Lorsqu’on demande quel groupe a apportĂ© du nouveau dans la musique punk ou affiliĂ©es ces derniĂšres annĂ©es, un nom revient : Girl band. AprĂšs Idles et Viagra boys les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, le festival Antigel prouve une nouvelle fois qu’il ne tire pas Ă  l’aveuglette.

AprĂšs une plateforme sur le lac LĂ©man, c’est au tour de la Banque alimentaire genevoise d’ĂȘtre investie par Antigel. On pensera ce qu’on veut de cette pratique mais le vaste entrepĂŽt et ses alignement de dizaines de casiers de nourriture fait un cadre atypique et intĂ©ressant au concert. Devant la petite scĂšne montĂ©e pour l’occasion et son arche blindĂ©e de projecteurs se presse un public impatient – assez dense, mais c’est pas la folie non plus. Faut dire que faire venir le groupe de Dublin pour un unique concert faisait grimper le prix de l’entrĂ©e Ă  un niveau pas forcĂ©ment accessible Ă  tous.

Les quatre membres de Girl band montent sur scĂšne et lancent la machine sans autre forme de procĂšs, plongeant immĂ©diatement le public dans un univers de tiraillements, cisaillements, de grondements et tensions contraires Ă  nul autre pareil. Seule la batterie, binaire, millimĂ©trique, aux accents dansants parfois directement empruntĂ©s Ă  la techno, constitue un repĂšre vraiment stable. La guitare entretient une relation trĂšs compliquĂ©e avec l’idĂ©e de mĂ©lodie. Fracas, gerbes, Ă©tincelles, vrombissement seraient des mots plus adĂ©quats pour qualifier le jeu sidĂ©rurgique d’Alan Duggan, vĂ©ritable artiste de la pĂ©dale d’effet. La basse est aussi en proie Ă  des dĂ©raillements permanents aux forts relents no-wave. La gorge serrĂ©e, le pĂ©tage de plombs au bord des lĂšvres, Dara Kiely scande ce chaos organisĂ© de ses jĂ©rĂ©miades lancinantes, ses imprĂ©cations de prĂ©dicateur Ă  bout de nerfs.

TĂ©moin Ă©bahi de cette mĂ©canique partie en vrille, on ne peut que reconnaĂźtre qu’on est tout simplement face Ă  des gĂ©nies de la noise. Mais bizarrement, par moment, l’ennui n’est pas trĂšs loin non plus. La tension est uniformĂ©ment haute, des passages planants, parfois sans batterie et oĂč Dara Kiely s’essaie Ă  chanter, font retomber la pression plus qu’ils ne la modulent. La mĂ©canique de Girl band est faite pour crisser violemment. Le concert ne donne pas l’impression de dĂ©coller totalement. Le contact avec le public est assez minimal et Girl band quitte la scĂšne sans cĂ©rĂ©monie. Ovnis de la noise, Ă  prendre ou Ă  laisser.

Toutes les photos sont de Amdo, merci Ă  toi. (On peut en voir d’autres sur la version Rictus de l’article.)

>>>>>>>>>> GIRL BAND