« Long distance noise-rocker » : interview de Xavier (fanzine SONIK/webzine Perte & Fracas)

 C’est sĂ»rement difficile aujourd’hui d’imaginer l’importance qu’avaient les fanzines pour la culture underground dans les annĂ©es 80 et 90. Ces petits magazines confectionnĂ©s Ă  la main et photocopiĂ©s la plupart du temps Ă©taient souvent la seule et unique source d’information et de connaissance et faire un fanzine Ă©tait presque aussi cool que de jouer dans un groupe. Un fanzine, c’Ă©tait potentiellement tout un monde de groupes et de scĂšnes qui s’ouvrait Ă  toi. En tous cas, c’est exactement l’effet que me fĂźt SONIK. Ce fanzine a fait connaĂźtre au gamin fan de hardcore-punk que j’Ă©tais une musique qui y ressemblait mais pas totalement. Des rythmes plus Ă©tranges, plus complexes, des sonoritĂ©s qui pouvaient emprunter au jazz ou aux musiques expĂ©rimentales ou Ă©lectroniques. Les noms de Sabot, Zeni geva, Dog faced hermans, Heliogabale, Pain teens ou Melt banana me sont devenus familiers, parmi beaucoup, beaucoup, beaucoup d’autres. Plus de 20 ans plus tard, Xavier publie toujours comme un fou Ă  propos de ce punk bizarre qu’il aime tant sur son webzine Perte & fracas et il Ă©tait impossible de passer Ă  cĂŽtĂ© de l’occasion de l’interviewer, mĂȘme si ce n’est qu’une interview par mail. De bonnes grosses rĂ©ponses massives, directes, sincĂšres et passionnĂ©es, comme je m’y attendais. Merci Xavier.

Le nombre de critiques que tu publies est impressionnant ! Comment trouves-tu le temps d’écouter tous ces disques et  d’écrire ? Euh
 tu les Ă©coutes, hein ?

GrĂące Ă  une discipline de fer et une hygiĂšne de vie irrĂ©prochable. Et une conscience professionnelle incroyable qui fait que oui, j’Ă©coute tous ces disques. HĂ©las des fois. En fait, j’Ă©coute de la musique du matin au soir, tout le temps, par tous les temps et par tous les moyens que le monde moderne a mis Ă  notre disposition mĂȘme si au final, c’est ma bonne vieille platine vinyle qui use surtout. Je crois que j’aime ça tout simplement. Ça fait pas loin de 30 ans que j’Ă©cris des chroniques donc c’est une gymnastique quotidienne devenue trĂšs facile (en gĂ©nĂ©ral), comme une seconde peau, comme manger ou pisser, ça me prend pas Ă©normĂ©ment de temps contrairement Ă  l’Ă©coute. LĂ , je peux ĂȘtre assez long avant de me lancer Ă  chroniquer un disque, j’aime bien avoir l’impression d’en avoir fait le tour mĂȘme si c’est impossible. Du coup, les chroniques arrivent souvent en retard par rapport aux sorties mais je m’en fous, rien ne presse. Et puis, chroniquer un disque, c’est franchement pas compliquĂ©. J’Ă©tais tombĂ© par hasard y’a pas mal d’annĂ©es sur un bouquin d’Alain Dister, journaliste rock, avec au verso une de ses citations qui disait un truc du genre « n’importe quel connard peut Ă©crire sur le rock ». Je suis carrĂ©ment d’accord avec ça. Et il disait ça au dĂ©but des seventies, quand internet, tous les blogs, webzines n’existaient pas encore, alors que n’importe qui peut donner dĂ©sormais son avis trĂšs facilement. Un visionnaire le mec !

Revenons Ă  la prĂ©histoire : peux-tu nous parler de la transition entre le fanzine SONIK que tu faisais dans les annĂ©es 90 et Perte & fracas ? Qu’est-ce qui a motivĂ© le passage au numĂ©rique ?

Le temps et l’argent ! Sonik s’est arrĂȘtĂ© au n°8 en mai 96. Il faisait 120 pages environ, tirage 500 exemplaire, couverture couleur, et chaque exemplaire me revenait Ă  25 francs (environ 4 euros pour les plus jeunes !) et je le revendais… 25 Frs. J’ai toujours Ă©tĂ© un trĂšs bon gestionnaire. A l’Ă©poque, 25 Frs, c’Ă©tait dĂ©jĂ  pas mal (le prix d’un single, voir plus) et le vendre plus cher, c’Ă©tait trop. Et comme il fallait aprĂšs l’envoyer dans de multiples dĂ©pĂŽts Ă  travers la France via La Poste Ă  mes propres frais, je perdais trop d’argent. Rien qu’un colis de 10 n° revenait dans les 50/60 balles donc le compte a Ă©tĂ© vite fait, j’ai fermĂ© boutique hĂ©las… Quelques temps aprĂšs, internet a commencĂ© Ă  dĂ©barquer pour le grand public et avec l’asso KFuel dont je fais partie, on a montĂ© un site pour parler de nos activitĂ©s, essentiellement l’orga de concerts. C’est Ă  ce moment lĂ  que j’ai pu reprendre les chroniques en crĂ©ant une rubrique zine, c’Ă©tait vers 97. C’est pour ça d’ailleurs qu’on retrouve plein de chroniques sur P&F allant de 96 Ă  2003 alors que le webzine s’est crĂ©e qu’en 2004. J’avais rapatriĂ© toutes les chros que j’avais Ă©crites pour KFuel pour avoir du contenu Ă  l’ouverture. Donc, voilĂ , le fric, la facilitĂ© de publier sur internet, la diffusion instantanĂ©e dans le monde entier, le manque de temps, ne plus passer des nuits blanches Ă  mettre en page, Ă  ressortir la colle et les ciseaux. Je caresse toujours l’espoir un jour de sortir une version papier de P&F, ça me manque, genre une fois l’an pour rĂ©capituler une grande partie ou la totalitĂ© des Ă©crits de l’annĂ©e qui viennent de s’Ă©couler mais je crois que ça se fera jamais ! Sauf si quelqu’un-e me dit un jour qu’il/elle est prĂȘt-e Ă  se porter volontaire pour s’en occuper !

Les numĂ©ros de SONIK ont-ils Ă©tĂ© numĂ©risĂ©s ? Est-ce qu’on peut les trouver quelque part ?*

Non pas Ă  ma connaissance, pas de numĂ©risation. Et ne compte pas sur moi pour le faire, j’ai mĂȘme pas tous les numĂ©ros. Juste les maquettes dans un piteux Ă©tat. Par contre, j’ai appris rĂ©cemment que la fanzinothĂšque du Confort Moderne Ă  Poitiers Ă  tous les n°… et chez des potes aussi mais lĂ , ça va ĂȘtre plus compliquĂ© !

Dans SONIK, il y avait des articles extra-musicaux – je me souviens d’un dossier sur Louis Calaferte – qu’on ne retrouve plus sur Perte & Fracas, y a-t-il une raison particuliùre à cela ?

Le temps et… ah non, pas l’argent ! J’aimerais en faire beaucoup plus. Plus de chros,de scene reports, d’articles en tout genre mais mĂȘme si je ne dors pas beaucoup, je n’y arrive pas. Et puis, il faut avoir aussi l’envie d’Ă©crire sur autre chose que la musique, sentir le sujet qui va te motiver mais en fait, je crois que je ne cherche pas. MĂȘme si plein d’autres sujets non musicaux m’intĂ©ressent, je les garde pour moi maintenant. P&F, c’est vraiment la musique et rien que la musique.

Tu as publiĂ© aussi quelques interviews mais la derniĂšre date de 2014. C’est quelque chose qui ne t’intĂ©resse plus ?

Si Ă©normĂ©ment mais comme pour la rĂ©ponse prĂ©cĂ©dente, manque de temps (sauf pour y rĂ©pondre hahaha) et la flemme. En fait, ce sont surtout les conditions pour faire une bonne interview qui manquent. Lors de la venue d’un groupe en concert, c’est souvent chaud pour choper le groupe entre deux balances, le repas, les concerts, dans un coin de backstage bruyant sans parler des groupes qui s’en tapent. En plus, mon anglais laisse grandement Ă  dĂ©sirer. Si j’arrive Ă  me faire comprendre, j’entrave pas la moitiĂ© de ce qu’ils rĂ©pondent (ou alors ne faire que des groupes français ?). Autant le faire par Ă©crit alors mais lĂ  aussi, c’est limitĂ©. On ne peut pas rebondir sur ce que la personne vient de dire, on ne peut pas instaurer une vĂ©ritable discussion. Je crois aussi que j’ai pas mal Ă©tĂ© déçu et frustrĂ© par plusieurs interviews que j’ai pu faire dans le passĂ©, pas grand chose d’intĂ©ressant en sortait. L’idĂ©al, ce serait de passer une journĂ©e, en dehors des tournĂ©es, pour taper la discute avec un groupe, sans contrainte de temps, sans stress mais lĂ  je rĂȘve. Et puis au final pour ĂȘtre tout Ă  fait honnĂȘte, quand je vais Ă  un concert, je prĂ©fĂšre aller boire des biĂšres et discuter avec les potes parce que les musiciens, c’est que des branleurs hahaha !

The art of losing et Oldies – biographies de groupes, discographies commentĂ©es et disques en tĂ©lĂ©chargement libre – sont vraiment des rubriques gĂ©niales : qu’est-ce qui t’a donnĂ© l’envie de faire ce « travail historique » ? Est-ce qu’il y avait la peur que ces groupes pre-internet tombent dans l’oubli ?

Qu’un disque vienne de sortir ou qu’il date de pas mal d’annĂ©es, le principe reste le mĂȘme, avoir envie de faire dĂ©couvrir un disque. Je m’en fous de l’annĂ©e marquĂ©e dessus, y’a pas de date de pĂ©remption pour la bonne musique ! Tout au long de ma vie (et encore maintenant), j’ai dĂ©couvert plein de disques bien aprĂšs leurs sorties, des disques que j’ai toujours beaucoup de plaisir Ă  Ă©couter aujourd’hui. Alors je me suis dit, si je peux faire dĂ©couvrir des groupes comme Glazed Baby, Dazzling Killmen, Craw, Dog Faced Hermans etc etc et des disques plus obscurs mais qui auraient mĂ©ritĂ© plus de lumiĂšre, pourquoi se gĂȘner ?! En fait, je suis toujours dans la peau du lycĂ©en qui Ă©changeait des cassettes avec ses potes Ă  la rĂ©crĂ©. Tiens, je vais t’enregistrer ce groupe, tu m’en diras des nouvelles et en retour, ils me faisaient des copies d’autres disques, on avait tout un trafic de cassettes. Sauf que maintenant, on s’Ă©change des liens MP3. J’avais aussi dĂ©couvert lors de discussions avec des personnes plus jeunes (mais pas seulement !) que moi que des groupes qui apparaissaient comme des Ă©vidences, que tout le monde connaissait, hĂ© bien ce n’Ă©tait pas le cas du tout, j’avais un gros dĂ©calage. Quoi, tu n’as jamais entendu parler de Dazzling Killmen !!!!???? Tu ne connais pas les deux 1ers singles de Blunderbuss ??!! Tu vivais dans une grotte ou quoi ?! Alors que c’Ă©tait normal en fait, non seulement Ă  cause d’une question d’Ăąge mais aussi parce que la plupart de ces groupes dans The Art of Losing ou Oldies sont assez confidentiels, n’ont intĂ©ressĂ© qu’une poignĂ©e de personnes Ă  l’Ă©poque oĂč internet n’existait pas et oĂč il Ă©tait plus difficile de se faire connaĂźtre alors que maintenant, tu mets ta 1Ăšre dĂ©mo sur Bandcamp et tu fais le tour du monde. Donc voilĂ , j’espĂšre qu’avec ces 2 rubriques, les plus jeunes peuvent dĂ©couvrir plein de disques et les plus vieux dĂ©poussiĂ©rer leur discographie ou combler les trous. Pas de volontĂ© de faire un travail historique comme tu dis mĂȘme si avec le temps, ça en prend la tournure et que c’est pas pour me dĂ©plaire. Pas de peur non plus car tout ça est bien involontaire de ma part et ce n’est pas dĂ©sagrĂ©able au final que certains disques obscurs que je chĂ©ris tant puissent se faire entendre encore, qu’une trace subsiste. Par contre, ça doit ĂȘtre important pour certains groupes de ne pas tomber dans l’oubli puisque certains m’ont demander de figurer dans The Art of Losing… J’ai Ă©galement rĂ©ussi Ă  choper des disques qui ne sont jamais sortis parce que les groupes avaient splittĂ© entre temps. Quand les membres de ces groupes sont tombĂ©s par hasard sur les articles de The Art of Losing, ils m’ont spontanĂ©ment contactĂ© et Ă©taient trĂšs heureux de pouvoir faire entendre leurs enregistrements qui ne sont jamais sortis… J’ai mĂȘme dĂ©couvert il y a quelques annĂ©es que les Anglais de Headbutt sur le site Discogs avait mis comme lien « officiel » pour leur groupe la page Oldies que P&F leur a consacrĂ©e !

Humeur massacrante est une rubrique que je prend un malin plaisir Ă  lire. J’imagine qu’elle n’est pas du goĂ»t de tout le monde
 Qu’est ce qu’elle reprĂ©sente pour toi ? Penses-tu que, en son for intĂ©rieur, tout fan de musique est un ayatollah qui pense dĂ©tenir la vĂ©ritĂ© ultime, adoube certains groupes et voue tous les autres aux gĂ©monies ?

Je crois que tu n’es pas le seul Ă  prendre un malin plaisir comme tu dis Ă  lire cette rubrique, j’ai eu pas mal d’Ă©chos dans ce sens. Plus on dit du mal des autres, plus les gens adorent. L’humeur massacrante rĂ©vĂšle le cotĂ© obscur de chacun d’entre vous !! Et effectivement, elle n’est pas du goĂ»t de tout le monde. Surtout des groupes qui y figurent mĂȘme si la plupart le prennent trĂšs bien et l’anticipent mĂȘme quand ils m’envoient leur disques en me disant que je vais pouvoir me dĂ©fouler sur eux… Alors qu’en fait, je ne prends pas de plaisir Ă  le faire. DĂ©jĂ , parce que je suis obligĂ© d’Ă©couter ces disques (conscience professionnelle jusqu’au bout !!) et que parfois, c’est une vraie torture pour mes oreilles. Et parce que je prĂ©fĂšre passer du temps Ă  Ă©crire sur de la musique que j’apprĂ©cie, c’est beaucoup plus facile. Si j’ai fait cette rubrique, c’Ă©tait pour caser tous les disques que j’avais reçus (oĂč les erreurs d’achat) et qui ne me plaisaient pas ou que je me demandais pourquoi je les avais reçus parce qu’ils ne correspondaient pas du tout Ă  P&F. J’aurais trĂšs bien pu les ignorer (ce que je fais parfois) et les balancer Ă  la poubelle (oĂč ils finissent par atterrir souvent) mais comme on avait fait l’effort de me les envoyer, je voulais faire l’effort d’en parler. Au dĂ©but, je pensais Ă©crire quelques lignes seulement, assez neutres et descriptives, mais je trouvais ça vite barbant Ă  faire et Ă  lire. J’ai voulu donc le faire sous un angle un peu dĂ©calĂ© et l’idĂ©e de l’humeur massacrante m’est venue rapidement. Mais cette rubrique est Ă  lire au second degrĂ© la plupart du temps (et ça, beaucoup de groupes l’ont compris) avec de la mauvaise foi et de la provocation gratuite, de l’humour bĂȘte et mĂ©chant, une façon sans filtre et trĂšs directe de parler musique comme quand on parle zique avec des potes sur le bord d’un comptoir de bar, il ne faut pas la prendre trop au sĂ©rieux. Mais pas toujours non plus… Et ça apprendra Ă  certains Ă  envoyer des disques Ă  l’aveugle sans prendre un minimum d’infos sur le zine Ă  qui on envoie de la promo, ils tendent vraiment le bĂąton pour se faire battre. Ça, ça me sidĂšre.
C’est une façon aussi d’aller Ă  l’encontre de toute l’hypocrisie que je peux lire dans de nombreux webzines/blogs qui lĂšchent bien le cul des labels, groupes et autres attachĂ©(e)s de presse, sans aucun avis critique, ou en se contentant de reprendre les Ă©lĂ©ments biographiques qu’on leur refile sous le nez ou en se satisfaisant de chroniquer uniquement ce qu’on leur envoie en promo sans jamais chercher Ă  dĂ©couvrir des disques par eux-mĂȘmes et en achetant leurs propres disques, ce qui fait que beaucoup de zines se ressemblent. Voir de lutter contre des labels/groupes qui essayent plus ou moins habilement de vous mettre la pression pour que vous Ă©criviez des choses positives sur leur oeuvre d’art. Nan, j’Ă©cris ce que je veux et je vous emmerde.
Mais surtout, ces chroniques, positives ou nĂ©gatives, n’engagent que moi. J’ai pris le soin sur la page « contact » d’Ă©crire que « Perte & Fracas ne fait que traduire les opinions d’un modeste besogneux. Lisez entre les lignes. Ayez votre propre avis. » Je ne possĂšde aucune vĂ©ritĂ©, je ne possĂšde pas LA vĂ©ritĂ©, c’est juste un avis parmi d’autres, vous en faites ce que vous voulez aprĂšs. Si quelqu’un pense qu’il dĂ©tient la vĂ©ritĂ© ultime, c’est un vĂ©ritable crĂ©tin ou alors il s’appelle Philippe Manoeuvre, (ce qui revient au mĂȘme). Je peux dire beaucoup de bien, voir encenser des groupes (et ça constitue la majoritĂ© des chros sur P&F je pense), en descendre d’autres (mais ce sont toujours celles lĂ  dont on se souvient le mieux hĂ©las…) mais ça restera toujours uniquement l’avis et rien d’autre d’un mec dans son HLM qui essaye d’Ă©crire le plus honnĂȘtement possible ce qu’il ressent Ă  l’Ă©coute d’un disque. Point barre.

Mise en page au hachoir extraite de SONIK #3

Perte & Fracas, c’est l’exact opposĂ© du webzine musical typique de 2018, bourrĂ© jusqu’à la gueule d’infos courtes, d’images, de vidĂ©os. Qu’est-ce que ça t’inspire ?

Que je suis vieux ! Perte & Fracas, un webzine old-school ! Bon dĂ©jĂ , j’ai pas les connaissances techniques et artistiques requises pour faire un site super chiadĂ©. Je fais P&F avec une version de Dreamweaver datant de 2000 environ, tu vois le genre. Un jour, je vais sĂ»rement ĂȘtre dans la merde mais tant que ça marche… En mĂȘme temps, j’ai toujours voulu faire un site clair, oĂč il est facile de s’y retrouver sans que le lecteur soit bombardĂ© de centaines d’infos, d’images et en privilĂ©giant bien sĂ»r le fond Ă  la forme. Donc oui, rien de trĂšs glamour. Je passe plus de temps Ă  Ă©crire qu’Ă  faire de superbes animations ou des jeux concours avec des Ă©coutes en exclusivitĂ©… Ce n’Ă©tait pas calculĂ© au dĂ©part mais maintenant, j’aime l’idĂ©e que P&F soit le genre de site oĂč on prend le temps de s’arrĂȘter, se poser, y revenir rĂ©guliĂšrement pour fouiller, dĂ©couvrir au hasard, en dehors des sentiers battus, des modes, de l’actualitĂ© voir un peu hors du temps. J’entends parfois que faire des chroniques ne sert plus Ă  grand chose, qu’il suffit de cliquer sur des liens et les personnes peuvent tout de suite Ă©couter Ă  quoi ça ressemble, qu’on s’en fout des avis de quelques obscurs scribouilleurs. C’est peut-ĂȘtre vrai. Mais d’abord, avec tous ces milliers de disques qui sortent, les webzines/mags permettent de faire un peu de tri (subjectif forcĂ©ment) pour toutes les personnes qui n’ont pas le temps/l’envie de fouiller. Et surtout, personnellement, j’ai toujours adorĂ© lire sur la musique en gĂ©nĂ©ral mĂȘme celle que je n’apprĂ©cie pas spĂ©cialement, lire ce que peuvent penser d’autres personnes sur des disques, apprendre des choses sur les groupes etc. Je n’ai pas envie que P&F devienne un agrĂ©gateur de news sur les sorties de disques, de liens Bandcamp ou de vidĂ©os Youtube, froid et sans passion avec une note sur 10 pour toute apprĂ©ciation. Parler de musique, c’est important, ça fait partie de tout ce folklore rock que j’adore. Ya quelque chose d’humain derriĂšre tout ça qui me touche, c’est l’envie d’aller un peu plus profondĂ©ment dans cette sensation que procure la musique, se demander pourquoi tel disque nous retourne, nous fait cet effet lĂ , en quoi ça nous parle, ça donne un peu comme un support consistant Ă  la musique, une mĂ©moire qui va rester, une mystique sur la musique qu’il est important d’entretenir.
C’est pour ça aussi qu’il me faut le disque entre les mains pour en parler et que je prends en photo toutes les pochettes. Montrer que y’a des gens derriĂšre tout ça, des musiciens, des ingĂ©nieurs sons, des dessinateurs etc… qui prennent du temps, bossent, se donnent un mal de chien pour faire des disques, des visuels, des objets parfois trĂšs beaux. La musique, ce n’est pas du MP3 et des jpg ! Donc oui, je continuerais d’Ă©crire, Ă©crire et Ă©crire encore parce que pour moi, c’est le meilleur moyen pour dire Ă  quelqu’un d’Ă©couter un disque, lui faire partager ton envie et de communiquer ta passion.

120 chroniques de Perte & Fracas

Ton Ă©criture est vraiment personnelle et ta façon trĂšs imagĂ©e de parler de la musique est parfois presque plus captivante que l’écoute des disques mĂȘme. Ecris-tu Ă  d’autres occasions que Perte & Fracas ? As-tu dĂ©jĂ  Ă©crit pour des magazines ? Est-ce qu’on te l’a proposĂ© ?

Merci pour ta remarque sur l’Ă©criture mais le plus beau commentaire qu’on puisse faire pour P&F, c’est « merci de m’avoir fait dĂ©couvrir tel disque ou tel groupe » et non pas sur la façon dont c’est Ă©crit. L’Ă©criture n’est qu’un moyen de rendre tout ça pas trop dĂ©sagrĂ©able, c’est secondaire. Et les mots, les images que tu utilises, les sentiments, les Ă©motions que l’Ă©coute d’un disque te procure, la façon dont tu tournes tout ça ne sont qu’une partie de la donne. Les infos que tu vas fournir, la connaissance du groupe et surtout l’esprit critique sont encore plus importants. L’essentiel dans un zine, c’est de donner envie aux personnes d’Ă©couter tel ou tel disque, pas de se faire mousser pour son Ă©criture sinon faut arrĂȘter tout de suite et Ă©crire un roman ou je ne sais quoi et perso, je n’ai strictement aucune envie de ce cotĂ© lĂ  et encore moins les capacitĂ©s. Comme je disais dans la 1Ăšre rĂ©ponse, n’importe qui peut Ă©crire des chroniques, il suffit de s’appliquer un minimum. Le reste, c’est de l’entraĂźnement et de la persĂ©vĂ©rance. Comme dit une pub pour je ne sais plus quelle marque de sport et sa pratique, le plus dur, c’est pas de s’y mettre, c’est de s’y tenir ! Je n’Ă©cris donc que pour P&F. J’ai Ă©crit 2,3 chroniques pour un magazine qui n’existe plus depuis 2004, ça s’appelait l’Oeil Ă©lectrique (fait notamment par le gars dont le nom de scĂšne est dĂ©sormais John-Harvey Marwanny). Paquito Bolino m’avait demandĂ© aussi d’Ă©crire un truc pour un zine qu’il voulait sortir y’a fort longtemps mais je crois que tout ça est tombĂ© Ă  l’eau. C’est tout si je me rappelle bien et on ne m’a jamais rien proposĂ© sinon.

Outre le plaisir d’écrire, qu’est-ce que le webzine t’apporte ?

Euh, le droit de rĂ©pondre Ă  des interviews ? Franchement, j’ai toujours envisagĂ© et fait P&F dans le but tout simple de faire connaĂźtre des groupes que j’aime, prĂ©sents ou passĂ©s, Ă  d’autres personnes. La musique et rien que l’amour de la musique (c’est beau hein ?!). Je n’ai jamais rien attendu en retour. Maintenant, Ă  part quelques disques gratos (pas assez Ă  mon goĂ»t et surtout pas ceux que je voudrais !), des liens de tĂ©lĂ©chargement (beaucoup trop !) pour avoir l’immense privilĂšge d’Ă©couter les disques avant leur sorties, une reconnaissance inter-planĂ©taire toujours apprĂ©ciable et la rencontre de quelques personnes sympathiques (pas trop quand mĂȘme hein), P&F, c’est bon pour mon Ă©quilibre quotidien (y’a du boulot !), une sorte de refuge, d’Ă©chappatoire Ă  la dure et impitoyable rĂ©alitĂ© de la vie, un monde personnel dans lequel je glisse des choses intimes bien que faire dĂ©couvrir des disques restent le but ultime. Je fais ça naturellement, sans me forcer, en prenant beaucoup de plaisir, sans rĂ©flĂ©chir Ă  tout ce que ça entraĂźne. J’ai commencĂ© P&F (et Sonik avant) pour moi mĂȘme d’abord parce que je sentais que j’avais besoin de parler de musique – et je ne pourrais pas l’expliquer – il faut que je parle de tous ces disques que j’adore et ensuite de plus en plus, pour le partage en espĂ©rant que d’autres personnes soient satisfaites que P&F existe. Certains collectionnent les timbres ou se passionnent pour la pratique de la danse country. Moi c’est Ă©crire sur le rock’n’roll !

Perte & Fracas, ça a aussi Ă©tĂ© un label, celui d’un disque The perturbation theory de Moller-Plesset. Peux-tu nous en dire un mot ? Y avait-il l’idĂ©e de sortir d’autres disques ?

C’est surtout une histoire de potes qu’on avait envie de soutenir et d’aider. Ça a commencĂ© avec leur 1er album Rather Drunk Than Quantum que nous avons sorti avec KFuel. AprĂšs j’ai continuĂ© l’aventure tout seul quand j’ai crĂ©e Perte & Fracas et publiĂ© The Perturbation Theory. J’avais dans l’idĂ©e de sortir plein d’autres disques, de me lancer dans l’aventure du label mais ça s’est jamais fait. DĂ©jĂ  parce que The Perturbation Theory s’est trĂšs mal vendu (il reste toujours des exemplaires, demandez Ă  Moller, je leur ai tout filĂ© !), j’ai perdu des thunes (le syndrome Sonik…) et plus sĂ»rement, je crois que j’avais pas rĂ©ellement la motivation pour continuer. Si vraiment on a un truc qui tient Ă  coeur, on trouve toujours les moyens – financier, le temps etc – pour le faire, on dĂ©passe les contraintes, on s’implique vraiment et ça n’a jamais Ă©tĂ© le cas… Perte & Fracas, un label mort-nĂ© mĂȘme si on sait jamais sur un coup de coeur…

Plus de question
 AH SI ! Si Jesus Lizard passe en France en 2019, tu iras les voir ? Et en 2029 ?

Je vois que tu connais ma passion pour Jesus Lizard… La derniĂšre fois que je les ai vu, c’Ă©tait Ă  Rennes Ă  l’Antipode avant la sĂ©paration, la premiĂšre avant les nombreuses reformations pour des tournĂ©es. Je n’en garde pas un bon souvenir. Le batteur Mac McNeilly n’Ă©tait plus lĂ , c’Ă©tait mĂȘme pas Jim Kimball mais un obscur besogneux et on sentait que c’Ă©tait la fin, un concert de routine. Mais tous les Ă©chos de leurs multiples reformations sont bons donc s’ils repassent Ă  Rennes, je ne pourrais pas m’empĂȘcher d’aller les voir mais je ferais pas des centaines de kilomĂštres non plus. Je prĂ©fĂšre rester avec mes vieux et beaux souvenirs comme la premiĂšre fois que je les ai vus Ă  Bruxelles puis Paris (au Gibus !) le lendemain, c’Ă©tait entre Goat et Liar. A ce moment lĂ , je comptais pas les kilomĂštres pour les voir !! Et en 2029, je serai gĂąteux, sourd ou mort. Mais moins qu’eux.

*Oui, il en existe. En faisant une simple recherche internet, on tombe sur le’site de l’irremplaçable fanzinothĂšque de Poitiers oĂč on trouve un lien vers le troisiĂšme rĂąle de SONIK ainsi que vers pleins d’autres fanzines gĂ©niaux de l’Ă©poque : Positive rage, Tranzophobia, Peace warriors, etc.

PS L’illustration en entĂȘte de cette interview est celle de l’insert du LP « Dig out the switch » de Dazzling killmen, autre groupe chouchou des pages de SONIK/Perte & Fracas..

>>>>>>>>>> PERTE & FRACAS

Flying disk, « Urgency » LP

Tu parles le Quicksand ? Le Jawbox, le Helmet, le Girls against boys ? Si c’est le cas, il y a des chances pour que tu te retrouves en terrain familier avec cet album des Italiens de Flying disk, dĂ©jĂ  auteurs d’une premiĂšre galette sympathique. Au cours des quatre annĂ©es qui sĂ©parent les deux disques, le groupe a continuĂ© Ă  progresser et Ă  affirmer ses choix. Son post-hardcore est de plus en plus colorĂ© par les mĂ©lodies et les petites bombes qui ouvrent le disque – One way to forget, On the run –  donnent le ton : Flying disk vire de plus en plus du cĂŽtĂ© rock de la force. Aucun mal Ă  ça, tout le monde aime un bon gros riff rock de temps en temps et, avec son trĂšs typĂ© mais aux petits oignons – guitare ample qui rĂ©sonne dans la nuit, basse qui ronfle impeccablement -, ces morceaux sont remplis de chouettes idĂ©es, de breaks virevoltants, de dynamiques bien maĂźtrisĂ©es.

Pour autant, tous les morceaux ne font pas une impression aussi satisfaisante. L’Ă©nergie se dilue un peu sur les titres du milieu et plusieurs moments moins inspirĂ©s. On ne peut quand mĂȘme pas faire comme si cette musique n’existait pas depuis 20 ans et je jure sur la tĂȘte de ma maman bien-aimĂ©e que j’ai dĂ©jĂ  entendu les arpĂšges de Night creatures tels quels ou presque ailleurs. L’impression aussi parfois que l’ambition mĂ©lodique du groupe se fait au dĂ©triment de la tension des morceaux et qu’il manque des titres comme Scrape the bottom sur le premier album, certes plus basique dans leur progression mĂ©lodique mais qui avait quelque chose d’instinctif et de mordant.

Album attachant, qui respire la passion, Urgency peut sĂ©duire mais aussi laisser sur cette impression de rĂ©fĂ©rences un peu encombrantes. Heureusement, les coups gagnants sont suffisamment nombreux pour donner envie de suivre le groupe et d’entendre ce qu’il peut donner sur scĂšne, en vrai.

Flying disk, « Urgency » LP (Brigante Records / Scatti Vorticosi / Edison Box)

>>>>>>>>>> FLYING DISK

 

« Jeudi noise » (Black Mont-Blanc, Videoiid – Tilleuls, 6 dĂ©c.)

VirĂ©e aux Tilleuls un jeudi soir. ArrivĂ© Ă  l’arrache mais assez tĂŽt pour passer un moment avec les groupes de la soirĂ©e. Alors qu’on avait prĂ©vu de les faire jouer tous deux ce soir, on a eu la surprise d’apprendre que les batteurs respectifs des deux groupes se connaissaient et avaient mĂȘme jouĂ© ensemble Ă  une Ă©poque ! La soirĂ©e part sous de bons auspices. Frank raconte sa tournĂ©e en autonomie en Russie, du nord jusqu’Ă  la CrimĂ©e avec son projet solo Sheik anorak. Ca ferait un tour report d’enfer !

Il y a dĂ©jĂ  un public assez nombreux – pour un jeudi – lorsque commence le concert de Black Mont-Blanc. Faut dire que le trio comporte la section rythmique des Don caballero locaux – We are the incredible noise – et qu’en plus ce groupe dont on compte les concerts sur les doigts de la main jouait pour la premiĂšre fois Ă  Annecy, il me semble bien.

Probablement à cause du son, leur musique fait une impression moins violente, moins rentre-dedans que lors de leur prestation au Poulpe. Post-hardcore technique, en ébullition. Voix gueulée qui se débat dans ses entrailles. Basse retorse, perverse, qui cherche le point de faiblesse, de rupture.

Quelques moments qui respirent davantage mais le trio ne laisse guĂšre de repos au public et son set punitif le laisse pantelant, avec toujours l’envie lancinante d’en entendre plus. Quand sortiront-il quelque chose ? Un jour, peut-ĂȘtre, peut-ĂȘtre.

Le deuxiĂšme trio de la soirĂ©e, Videoiid donc, est un groupe plutĂŽt groupe rĂ©cent formĂ© par Frank, lyonnais exilĂ© Ă  Göteborg, et Arvind et Sara, deux musiciens suĂ©dois. Ils n’ont pas tant tournĂ© en France que ça et viennent de sortir leur premier EP, donc c’Ă©tait plutĂŽt cool de les recevoir ce soir-lĂ  aux Tilleuls

Punk dissonant, tribal, hypnotique. Gerbes de guitares qui déraillent. Sur scÚne, la musique de Videoiid est en éruption continue et leur set court mais intense fait une impression plus urgente, plus primaire encore que sur leur enregistrement.

Ou peut-ĂȘtre que c’Ă©tait un de ces moments spĂ©ciaux oĂč il se passe quelque chose, puisque le groupe lui-mĂȘme nous racontera aprĂšs que ce concert Ă©tait pour eux particuliĂšrement rĂ©ussi. En tous cas, il laissera sa marque dans nos cerveaux sidĂ©rĂ©s, de mĂȘme que cette excellente soirĂ©e qu’on prolonge par une interview Ă  paraĂźtre trĂšs bientĂŽt.

>>>>>>>>>> BLACK MONT-BLANC

>>>>>>>>>> VIDEOIID

>>>>>>>>>>BISTRO DES TILLEULS

Debout les braves #12

Un vrai fanzine, sur papier, 36 pages avec une couverture couleur et une mise en page soignĂ©e. Et prix libre, en plus. Respect. Debout les braves est le fanzine photo d’Olivier, avec une ambiance punk français / anarcho-punk qui traĂźne dans les pages. Les photos de concerts, ça peut franchement avoir un cĂŽtĂ© trop classique et barbant parfois mais, d’une part, comme l’indique le sous-titre du fanzine – Visions de la scĂšne genevoise et d’ailleurs – Olivier a la bonne idĂ©e de s’intĂ©resser aux gens, aux lieux ou aux moments qui font autant la scĂšne que les musiciens. D’autre part, les photos, souvent en noir et blanc fortement contrastĂ©s, sont belles et les concerts sont de style variĂ©s. Enfin, il y a quand mĂȘme un peu de texte : une interview de Vocal cheese, un duo qui mĂ©lange yodel et approche politique, et un Ă©dito qui prend partie contre les danses violentes aux concerts.

« Le rock’n roll dans les veines » (Lydia Lunch / Big Sexy Noise – Théùtre de l’Usine, 19 nov.)

 

 

Le truc fou avec Lydia Lunch, c’est que je suis persuadĂ© de l’avoir dĂ©jĂ  vue, quelque part Ă  la fin des annĂ©es 90, dans un cafĂ© Ă  Londres, je crois. Ca devait ĂȘtre une lecture, mais j’en ai absolument, mais alors absolument, aucun souvenir. J’ai dĂ» y aller un peu comme ça, Ă  l’Ă©poque, bon bref, cette fois c’est avec beaucoup de curiositĂ© qu’on a pris nos places pour ce concert qui se dĂ©roulait au théùtre de l’Usine – pas du tout une salle avec des places assises comme je le craignais mais quelque chose qui ressemblait plutĂŽt bien Ă  une salle de rock. Nickel.

MĂȘme pas encore montĂ©e sur scĂšne que le show de Lydia commence. Elle blague avec le public, des connaissances peut-ĂȘtre ou des inconnus. A l’aise, on sent la bĂȘte de scĂšne, en toute simplicitĂ©. Et puis on est quand mĂȘme venue voir Lydia Lunch, icĂŽne punk/no-wave, auteure et performeuse sulfureuse, Ă©gĂ©rie de la scĂšne underground new-yorkaise depuis des lustres. Le public est composĂ© de gens de tous Ăąges mais il est chaud. Il veut Lydia et il veut du show.

Je trouvais un peu gonflĂ© d’appeler son groupe Big Sexy Noise. Big sexy noise, ça va, tu te la racontes pas un peu, lĂ  ? Mais en fait, peu Ă  peu, j’ai compris. La musique de ce groupe a vraiment quelque chose de sexuel. Mais d’abord, faut quand mĂȘme dire un mot sur le groupe – parce qu’on parle sans arrĂȘt de Lydia Lunch mais les deux autres, c’est pas n’importe qui. D’abord, il y a James Johnston, c’est le guitariste de Gallon drunk mais aussi des Bad seeds de Nick Cave et Faust sans compter toutes les collaborations hallucinantes, hein. Et puis, il y a Ian White, batteur des Gallon drunk aussi. Donc, quelque chose de sexuel, je disais. Ouais. Un son sale et chaud et dĂ©vergondĂ© Ă  la Stooges. Des accords bluesy plaquĂ©s crĂąnement, rien en trop, du grand art. L’incroyable James Johnston qui tombe Ă  la renverse sur la scĂšne comme s’il avait vingt ans, comme Nick Cave ne le fera jamais plus. La batterie primaire et vibrante, qui est lĂ  pour cogner, pour te rentrer dedans et pas autre chose. Le putain de rock’n roll au bout des doigts, la classe mais la classe absolue, quoi.

Et puis Lydia. Selon les morceaux, son chant oscille entre spoken-word mordant, imprĂ©cations rageuses et des passages chantĂ©s aussi, oĂč tout Ă  coup elle a une grĂące et que j’ai trouvĂ©s vraiment beaux. Lydia Lunch, elle a presque 60 ans mais elle est tellement naturelle et libĂ©rĂ©e sur scĂšne que parfois tu la vois Ă  20 ans. Tu la vois vraiment et il y a quelque chose d’extrĂȘmement touchant lĂ -dedans.

Et tu comprends un peu pourquoi elle a passĂ© sa vie Ă  faire ça, monter sur scĂšne et mettre en scĂšne l’ordure et la dĂ©gradation Ă  sa maniĂšre provocante, pour en faire de l’art. Une forme d’art, en tous cas. Une façon d’affirmer et de prouver qu’elle est vivante, plus vivante que jamais.

 

« Queer in the tradition » : an interview with Gerda

Year after year and record after record, Gerda has become another name for total engagement in a dark, abrasive, deeply-felt noisy hardcore sound. So I was ever so  stocked when hearing the news they were playing Geneva last October. And this is what I did : made myself a note to go, planned my trip carefully and arrived just right at the end of their show. Bumping into the Italians near the kitchen of the squatted house, I decided to improvise an interview. My questions were short, half unclear and only partly coherent and I probably came out as a complete idiot. But the boys were cool with it. And even managed to make it an interesting moment. Read on.

You’re playing in a squatt tonight, how do you feel about that ?

Alessio (bass) : It’s very natural. It’s like being at home. This is where we come from and where we belong. The band started in a squatt similar to this in our hometown. With people doing politics, pressure groups, antifa, organizing stuff. So it makes sense to us to travel and meet this kind of places.

Can you tell us a bit about this tour and how you organize things ?

Alessio : It’s a short tour because in this part of our life we need to make it compact. It’s nine days and eight shows. We play Geneva tonight, then Paris, Nantes, Soraluze near Biarritz and then Vitoria, Gasteiz and Pau and back. We do everything by ourselves, we are a DIY band. Except wedon’t have our own label. We rely on people that have now become friends – very small DIY labels but they’ve been dealing with music since the beginning.

Alessandro (singer) : Also it allows us to get a better distribution. Some are recent, others have been around for a long time. It has become part of our game.

Alessio : Yeah, it’s like a big family.

So you are in this DIY network and obviously it works because it allows you to tour, make records, make people hear your music – what would you say works less well or you would like to see work better ?

Alessio : Everything is very efficient -except that maybe it’s a small group of people and it’s not really easy to break though and meet audiences that are not specifically connected to this or that genre. Which I think is a pity because I know that our band can meet any kind of audience. During tours, we play in random bars in front of random people and it ends up being great shows.

Alessandro : Yeah, it’s not just the music, it’s how you play it.

Please, don’t make me regret missing your show, please


Alessio : But that’s the only thing that is not working so well. And it’s not because we or our label want it, it’s because bigger labels have marketing and work hard on people’s imagination. They take all the available space.

Roberto (guitare) : A few years ago we played a bar in France. It looked weird at first, it seemed we were kind of out of place but the night was really cool. Really good vibes.

Alessio : Buying records even though they didn’t know us


Alessandro : Sometimes it’s even better, to be a complete outsider.

Your album « Black queer » was released recently and it’s you, Alessio, who recorded it. Can you tell us a little bit about that choice ?

Alessio : This is the first album that we did entirely on our own, besides a single song that we did on a split 7’’ (Split 7’’ with Lleroy, released on BloodySoundFucktory as part of the volumorama series. – Ed.) and that was our first experimentation with recording. There are several reasons why we decided to record it ourselves. One is that our sound engineer left and another is that it felt like the right time for us to try this. If it had been 10 or even 5 years ago, fuck, we would have reallly struggled. But I have to say we were starting to think that it was about time to try, jamming with gear and do the sound ourselves.

Roberto : When you are on your own, it’s risky but you dare to try things and you succeed.

Alessio : Yeah, you know better what you want but you know less how to get it. Our sound egineer produced something like 600 records and I produced one record. I think you can hear it’s a job made by a young producer.

To tell you the truth I thought it was produced by Steve Albini (Laughs) and I went around telling everybody there’s this Italian band, really cool, recorded by Steve Albini !
 Seriously, I thought the sound was interesting, with drums quite in the foreground and the music in the back with almost a shoe-gaze/ambient feel
 And also the guitar sound is quite clean, compared to the usual distorted guitars


Alessio : Yeah, I think the guitars are very much in the focus in this album. Maybe it’s a bit more melodic maybe the songs are a little simpler. My wife says we’re getting older. (Laughs)

Roberto : Some of the songs had a different approach, starting from the guitar, whereas the previous records were more based on drums and bass.

Can you tell us a little bit about the choice to sing in Italian ?

Alessandro : Since we started it was very important for us to express very directly what we want so Italian was our first choice. More or less all of us write lyrics. It’s easier for us and we feel more confident this way. It has never really been a question among us.

Alessio : It feels very natural. Playing outside of Italy, we bring something from where you come from. And also I think it’s important that there is a tradition of Italian hardcore. It’s not like we wanted to raise a flag but
 There are so many Italian bands that are influential worldwide, like Negazione, Nerorgasmo, Wretched
 I believe we are part of that tradition.

What about the title of the last album ?

Alessandro : Ha ha, the title is in English !

Alessio : There is an ironic side to maybe not the music but in what surrounds it. « Your sister » (tTitle of the previous album – Ed.) is an insult and that was also ironic. Very rude way of refering to your sister So we said yeah, let’s translate it and make it Little Italy kind of insult ! Black queer is partly the same kind of idea but it’s also heavy and deep. I think we like putting funny and serious stuff.

Roberto : The whole album is dedicated to my brother, who died three years ago. He had a band, he was a brother to all of us. He had a very difficult life. He was a very powerful artist – not only a musician – and very tormented. His main problem was that he needed a lot of space to express himself so, when he couldn’t find it, it was like dying. He felt too different from other people. Sometimes he felt treated like a leper. So the meaning of Black queer for us is to never feel ashamed of your difference. Even if nobody likes it. Be yourself in the face of the others.

It’s a very personal story


Alessio : Yeah, there are many layers


Alessandro : On the record there is a song from his band.

Alessio : Also queer is a cool word for us to refer to our music, which doesn’t necessarily fit into categories : hardcore, noise, post punk, metal and so on. Typical metalheads might not be very happy with it. So we call it queer because it is queer music, crossing genres and expectations. Black because
 it’s dark music.

And also relating to political aspects


Alessio : Yeah, of course ! That’s also what we wanted to talk about. How certain categories of people can be perceived as dangerous or wrong or just mistreated. Black people, queer people. It’s also the social and political idea of the title.

Do you think hardcore or heavy music can be a voice for these people ?

Alessio : Ha ha ! I think it could be but there are not many queer or gay people playing harcore but it would be lovely to have more. But actually I don’t know many but there are some !

Alessandro : Of course, there are !

Alessio : But I don’t think we should talk about music genres. Music should be a way to say what you want to say. Of course DIY can be a way for queer people to express themselves.

La photo de Gerda Ă  la Zona mutante est toujours de Olive – merci Ă  lui.

>>>>>>>>>> GERDA

Niet, « Dangerfield » EP

DĂšs les premiers accords de All work and no play, le premier morceau de ce EP 5 titres, on sait exactement oĂč on met les pieds avec ce duo qui vient du nord-est de l’Italie. Son Ă©norme, lourdingue et baveux Ă  souhait, voix distordue, batterie punitive et sans fioriture. Le dĂ©cor est en place. Les noms d’Unsane, ou d’Hammerhead pour le cĂŽtĂ© rock millimĂ©trĂ©, ne peuvent pas ne pas ĂȘtre mentionnĂ©s. Cinq morceaux qui font bloc, taillĂ©s dans la mĂȘme matiĂšre noire, Ă©paisse, coagulante. La noise collĂ©e aux tripes. AmphĂ©tamine reptile tatouĂ© dans le coeur. Et, bon dieu, comme on les comprend. Si le son est ultra rĂ©fĂ©rencĂ©, ces cousins transalpins des clermontois de Black ink stain disposent juste ce qu’il faut de dĂ©crochages auditifs (utilisation judicieuse des pĂ©dales), de chutes de tension et de changements de vitesse abrupts pour maintenir l’intĂ©rĂȘt et donner une existence propre Ă  chaque titre. Et, de toute façon, c’est trĂšs fort et le cerveau en position « off » que cette musique s’Ă©coute et devient totalement jouissive. Encore, encore !

>>>>>>>>>> NIET

 

« Frana-tic » (Frana, Black widow’s project – Blackened tattoo studio, 3 nov.)

Initialement prĂ©vu dans le shop d’Urgence disk, ce concert s’est finalement dĂ©roulĂ© au studio de tatouage en face ou presque. Les italiens de Frana dĂ©barquent 30 mins avant le dĂ©but des hostilitĂ©s – surpris comme tout le monde par le traffic genevois de fin d’aprem. DĂ©ballage fissa du matos, petit line-check, go !

De toute façon, le punk-rock pied au plancher de Frana semble fait pour ça. S’entasser dans un kangoo, faire des bornes jusqu’Ă  plus soif, poser son matos et balancer la sauce, s’Ă©craser dans un duvet quelque part puis recommencer. Il y traĂźne comme un air de libertĂ©, quelque part entre punk, noise syncopĂ©e et quelque chose de plus mĂ©lodique, avec notamment Ă  la chouette voix de Luca – qui Ă©voque des pionniers du post-hardcore. HĂŒsker-dĂŒ peut-ĂȘtre.

La configuration de la salle est un peu curieuse, toute en longueur avec cette partie surĂ©levĂ©e qui fait office de scĂšne mais qui Ă©loigne un peu le groupe du public mais on s’en fout, c’est gĂ©nial. Et puis, avec les peintures cyber-mĂ©tal façon HR Giger qui tapissent les murs jusqu’au plafond, le lieu a comme une ambiance.

Le concert passe vite. On se retrouve au shop de Dam pour une super bouffe vĂ©gĂ©tarienne, au milieu des disques – la grande classe. On fait mieux connaissance avec les italiens qui dormiront Ă  la maison ce soir. Blagues, anecdotes, connaissances communes. MalgrĂ© l’organisation pratique pas toujours facile  – les membres du groupes n’habitent pas dans la mĂȘme ville -, ils gardent une vraie motivation et envie de crĂ©er de la musique. « Je peux pas concevoir ma vie autrement, de toute façon », dit Luca. La semaine suivante, ils jouent avec Hot snakes Ă  Milan. Chouette rĂ©compense.

Black widow’s project

La soirĂ©e s’enchaĂźne sans temps mort avec le concert de Black widow’s project, des genevois qui font le truc stoner Fu manchu/Foo fighters, les sons de Herr Liebe et un atterrissage en douceur au Poulpe pour profiter un peu de la fin de la soirĂ©e hip-hop noise qui s’y dĂ©roulait et continuer la discussion jusqu’Ă  tard dans la nuit.

>>>>>>>>>> FRANA

>>>>>>>>>> BLACK WIDOW’S PROJECT

>>>>>>>>>> URGENCE DISK

Videoiid, EP

Sons synthĂ©tiques grouillants en guise d’accueil. Voix trainante, rĂ©pĂ©titive. Riff minimaliste, sec. Guitare amĂ©lodique, triturĂ©e, succombant peu Ă  peu sous la force centrifuge du morceau. Bienvenue dans le monde de Videoiid, nouveau trio propulsĂ© par le batteur Franck Garcia (Gaffer records, Neige morte, Sheik anorak
) et deux guitaristes suĂ©dois(e)s, tous trois se partageant les voix. Six titres composent ce premier EP disponible en format cassette. Six titres d’un format rock et d’une durĂ©e assez classiques mais qui choisissent tous la dĂ©viance et se cassent la gueule d’une maniĂšre ou d’une autre. Go away (Deleuze) et Crackhead jazz ont une nette prĂ©fĂ©rence pour les riffs couinants, suraigus et tranchants comme des cutters. Le groupe prend un malin plaisir Ă  les faire vriller lentement et sadiquement Ă  force de rĂ©pĂ©titions, d’une façon qui Ă©voque bien sĂ»r Arab on radar. Mais la musique du groupe possĂšde Ă©galement un versant pop, mĂȘme si c’est pour tourner Ă  l’amer comme sur Flowers (La la song). Les voix ne sont jamais forcĂ©es et Sunn 636, le morceau central et le plus long du EP, est aussi le plus ouvertement et candidement pop. Plein de douceur et de mĂ©lancolie distordues et sucrĂ©es Ă  la Yo la tengo – mĂȘme dans sa dĂ©construction bruitiste finale. Ca a l’air trĂšs rĂ©fĂ©rencĂ© tout ça mais la musique de Videoiid transpire en fait la fraicheur et la spontanĂ©itĂ©. La reprise de Suicide, Why be blue ?, s’intĂšgre tout naturellement dans cet ensemble et clĂŽt parfaitement ce bouquet de chansons acides.

PS Le groupe sera en concert au Bistro des Tilleuls le jeudi 6 décembre avec Black Mont-Blanc.

>>>>>>>>>> VIDEOIID