Churros batiment, « 19 mars » EP

Rien Ă  voir avec le Covid-19 – quoique – mais le monde devient vraiment cold-wave ces temps-ci. Heureusement que certains groupes conservent du mordant et c’est le cas du duo grenoblois Churros batiment, qui vient de sortir un EP 4 titres, composĂ© intĂ©gralement pendant la pĂ©riode de confinement. Du surrĂ©aliste « Termite horrible » aux plus directs « Il tombe » et « Adorable traĂźtre », le groupe hybride une chanson Ă  fleur de peau et trĂšs Ă©crite et un Ă©lectro sombre et assez crade, pour un rĂ©sultat jouissif et hyper convaincant. Comme c’est le cas depuis leurs dĂ©buts, d’ailleurs. A dĂ©couvrir et Ă  suivre !

>>>>>>>>>> CHURROS BATIMENT

Untitled with drums, « Hollow » LP

Faudrait ĂȘtre sourd pour ne pas entendre, dĂšs les premiers accords de Hollow, qu’il y a eu du changement chez les clermontois de Untitled with drums. EnregistrĂ© par Serge Morratel, ce nouveau LP montre un visage assez diffĂ©rent d’un groupe dont le premier disque avait vraiment Ă©tĂ© une bonne surprise. Exit l’ambiance rĂ©verbĂ©rĂ©e qui baignait leur musique dans un halo cotonneux, exit aussi la voix tĂ©nue et cet Ă©quilibre de funambule Ă  la The Cure entre pesanteur et douceur Ă©thĂ©rĂ©e. Place aux grosses guitares, Ă  la basse massive et distordue et un chant dans l’ensemble plus viril, bien qu’il s’agisse du mĂȘme chanteur. Une formule sonore, une identitĂ© musicale modifiĂ©e en profondeur, au risque de dĂ©sorienter ceux qui avaient accrochĂ© au premier disque.

PassĂ©e cette premiĂšre impression dĂ©concertante, les morceaux en viennent de toute façon Ă  mener leur existence propre et, au fil des Ă©coutes, on retrouve les qualitĂ©s d’écriture indĂ©niables d’Untitled with drums. Leur maniĂšre de constuire sur des progressions d’accords rĂ©duites au minimum, de les faire vibrer ou de les mettre Ă  genoux d’une touche de synthĂ© ou d’une inflexion de voix. Une certaine lenteur assummĂ©e, aussi, qui provoque ces sensations de dĂ©collage et d’apesanteur assez classes. Si « Play with fire » ouvre le disque tambour battant, la majoritĂ© des titres de Hollow sont des semi-slows Ă©motionnels et surpuissants, qui pourraient rapprocher le groupe de formations comme les Smashing pumpkins ou, plus proche de nous, Impure wilhelmina. Selon l’humeur, leur construction peut Ă©blouir et charmer mais cette harmonie peut parfois aussi donner l’impression d’ĂȘtre un peu lisse, un peu trop parfaite.

J’avoue avoir une prĂ©fĂ©rence pour le Untitled premiĂšre incarnation. Celle-ci n’est pas dĂ©plaisante mais elle laisse l’impression d’abandonner certaines potentialitĂ©s du groupe en route. Le son Ă©norme taillĂ© par Morratel est un tremplin autant qu’il est un piĂšge potentiel. Avec ce disque ambivalent qui privilĂ©gie nettement la puissance au dĂ©triment de la finesse, Untitled with drums confirme son talent mais laisse aussi penser qu’une autre suite de l’histoire est possible.

Untitled with drums, « Hollow » LP (Seein red records, Araki records, Brigante records, Atypeek music)

>>>>>>>>>> UNTITLED WITH DRUMS

Coilguns, « Watchwinders » LP (Hummus records)

Avec Coilguns, il faut battre le mĂ©tal tant qu’il est encore chaud*. A peine plus d’un an aprĂšs le prĂ©cĂ©dent album Millenials, voici le nouveau disque, placĂ© sous le signe de l’urgence et de la conscience du temps qui passe et lui aussi composĂ© et enregistrĂ© in situ, c’est-Ă -dire en studio. Car le hardcore de Coilguns, pour surpuissant et furieux qu’il soit, n’exclut pas le bouillonnement crĂ©atif et les idĂ©es spontanĂ©es et originales – ce qui fait de cet album un ensemble Ă  la fois trĂšs cohĂ©rent et libre, presque hĂ©tĂ©roclite. Des morceaux aux structures complexes alternent avec des compositions beaucoup plus linĂ©aires, comme sur le mid-tempo  Watchwinders, presque punk. On retrouve bien sĂ»r le speed hardcore effrĂ©nĂ© du quatuor et la voix hurlĂ©e (Subculture encryptors, Big writer’s block)  – moments durant lesquels  ils me font penser Ă  ABC Diabolo, un groupe des annĂ©es 90 totalement oubliĂ© et c’est bien dommage car ça dĂ©chirait grave. Le groupe sait aussi ralentir le tempo (Growing block’s view), crĂ©er des ambiances plus insidieuses, rampantes, oĂč le groove mortel est souvent assurĂ© seul par la batterie – et quelle batterie !-, vu que la formation ne comporte pas de basse. Jusqu’Ă  des ambiances sombres et mornes, oĂč le temps semble suspendu de maniĂšre inquiĂ©tante : Prioress, avec sa voix pĂąteuse au flow quasi hip-hop, ou le choeur bluesy sur la fin de Watchwinders. Une veine presque gothique, qui parcourt le disque, fait pendant aux murs du son Ă©pais de la guitare de maniĂšre Ă©tonnamment naturelle et donne une couleur nouvelle Ă  la musique de Coilguns.

Est-ce-que celle-ci atteint ce point d’Ă©quilibre un peu magique oĂč la musique d’un groupe se met Ă  ne ressembler Ă  aucune autre et oĂč tu as l’impression tout-Ă -coup qu’elle ne te parle qu’Ă  toi ? Eh ben, c’est Ă  chacun de se faire une opinion, en Ă©coutant ce disque mais surtout, surtout, en allant voir le groupe en live**. Une expĂ©rience incandescente qui n’a pas beaucoup d’Ă©quivalent aujourd’hui.

*Comme noté par pas mal de chroniqueurs, hé hé.

**Par exemple, le 2 février sur la plateforme des Eaux-vives dans le cadre du festival genevois Antigel.

>>>>>>>>>> COILGUNS

Welldone dumboyz, « TombĂ© dans l’escalier » (Repulsive medias, No way asso, 939K15)

DĂ©couverte de ce groupe orginaire de Belfort avec cet album. Les huit titres qui le composent sont totalement indĂ©finissables mais brillent par leur Ă©nergie et leur spontanĂ©itĂ©.  Stoner gueulard pour le gros son, noise pour la (dĂ©)constrution foutraque et les plans absurdes et toujours blues dĂ©traquĂ© et dĂ©braillĂ© dans le fond. On ne sait jamais trop Ă  quoi s’attendre. On ne s’embarasse pas de cohĂ©rence mais on prĂ©fĂšre en foutre partout Ă  fond la caisse, Ă  l’image de l’esthĂ©tique gluante de la pochette. Lorsque le rythme ralentit (The hole), c’est pour sonner comme un Nick Cave pochetron et agressif. Elle se permet toutes les bizarreries, un Black space aux ambiances Ă  la Pink Floyd, un Kim plus expĂ©rimental et mĂȘme une derniere Bald story accoustique avec des voix qui chevauchent tout ça avec panache, notamment dans TombĂ© dans l’escalier, probablement le morceau que je prĂ©fĂšre. Ce groupe a son propre truc, il sonne comme lui-mĂȘme. Une engeance qui se fait rare. Je vois sur leur site que c’est leur huitiĂšme enregistrement et qu’il sortent des disques depuis plus de 10 ans. Merde, si ça se trouve, c’est un groupe culte !

>>>>>>>>>> WELLDONE DUMBOYZ

>>>>>>>>>> 939K15

Videoiid, « Sovtek zoo » EP

On peut dire que cette deuxiĂšme sortie du trio franco-suĂ©dois Videoiid s’est faite dans la plus grande discrĂ©tion. Pour tout dire, je ne crois pas avoir vu passer une seule chronique mais il faut prĂ©ciser qu’il s’agit d’une cassette rĂ©alisĂ©e, il me semble, Ă  l’occasion d’une tournĂ©e en Espagne. Un nouveau guitariste est d’ailleurs venu prendre la place d’Arvid – lassĂ© par les tournĂ©es, justement – auprĂšs de Sarah (guitare, voix) et Frank, alias Sheik anorak (batterie, voix).

Pour le reste, les trois titres de cette cassette sont dans le droit fil du premier enregistrement, Ă  savoir une noise virulente et dissonante sur laquelle plane le spectre d’Arab on radar. Peut-ĂȘtre mĂȘme que ces trois morceaux gagnent encore en cohĂ©rence et en efficacitĂ©, avec des structures Ă  la simplictĂ© toujours plus assumĂ©e – un morceau = un riff poussĂ© vers son autodestruction – et des voix particuliĂšrement bien posĂ©es, que ce soient les vocifĂ©rations aigues de Sarah ou les incantations dĂ©traquĂ©es Ă  la Eric Paul de la voix masculine.

NĂ©cessairement discret au milieu des nombreux projets qui occupent ses membres, on devrait avoir des nouvelles de Videoiid dans pas trop longtemps, vers mars. La cassette risque d’ĂȘtre bien usĂ©e d’ici lĂ .

>>>>>>>>>> VIDEOIID

Brutalist demo CD

On retient son souffle dĂšs les premiĂšres secondes et on se dit que lĂ  il se passe quelque chose. Brutalist est un projet menĂ© pendant quelques annĂ©es et, il semble, une poignĂ©e de concerts par trois des membres de Knut, accompagnĂ© par Adriano Perlini (qui jouait dĂ©jĂ  avec le guitariste Tim Robert-Charrue dans Commodor). Ce CD que le groupe prĂ©sente comme une dĂ©mo ne nous laisse honnĂȘtement que nos yeux pour pleurer que le groupe ne soit plus. Il contient cinq morceaux enregistrĂ©s  entre 2016 et 2019. Instrumentaux sinueux, construits autour de longues plages rĂ©pĂ©titives, tunnels obscurs qui dĂ©bouchent tout Ă  coup dans de vastes espaces. Si Trabajo et Cobra propose un mĂ©tal expĂ©rimental, rĂ©pĂ©titif, tendu Ă  craquer, Ă©tourdissant, le reste du disque dessine les contours d’un noisecore dĂ©construit totalement ahurissant. Piton, le premier morceau, sonne – comment dire ? – comme la rencontre de John Coltrane et de Godflesh dans un rĂȘve de Death grips, si une telle chose est imaginable. Base rythmique massive syncopĂ©e, allant se densifier, se dĂ©ployer, s’entrelacer. Guitare bloquĂ©e dans des stridences dissonantes en contrepoint, qui part en Ă©chappĂ©e et prend tout Ă  coup des accents de saxo free magnifique.  Instant magique est un champ de bataille dĂ©solĂ© , ambiance de dĂ©combres infestĂ©s, cendres fumantes. Avec des guitares vrillĂ©es, rampantes qui rodent en embuscade et une basse colossale, agonisante. New light clĂŽt le disque en renouant avec une noise extatique et libre. Cinq morceaux. Un ensemble hĂ©tĂ©roclite. Un instantanĂ© qui documente ce que ce groupe a Ă©tĂ© et laisse deviner ce que le futur aurait pu ĂȘtre. A Ă©couter absolument.

>>>>>>>>>> BRUTALIST

Yoke, « Immorale Emotion » EP

 

Yoke est un tout jeune projet solo basĂ© Ă  ChambĂ©ry et ce EP 4 titres est son faire-part de naissance. Yoke pratique le drone – vous savez, cette musique qui existait dĂ©jĂ  au moyen-Ăąge, fondĂ©e sur une note tenue que d’autres viennent enrichir. Sauf qu’ici ce n’est pas de musique grĂ©gorienne dont il est question mais plutĂŽt une version moderne, industrielle et stridente. Des paysages mornes, uniformes, dĂ©solĂ©s, prĂ©sence humaine incertaine, qui mutent lentement, se mĂ©tamorphosent au contact de dĂ©bris sonores qui s’entrechoquent.  Sur une seule des quatre piĂšces apparaĂźtra une rythmique battante. Indus massif en boucle, jet continu au coeur du rĂ©acteur. MĂ©ditative et angoissante, la musique de Yoke convoque immanquablement des rĂ©fĂ©rences cinĂ©matographiques – David Lynch tapi dans l’ombre, Tetsuo, l’ovni cyberpunk japonais de la fin des annĂ©es 80. Un film sans images. Du cinĂ©ma noise pour tes oreilles, en quelque sorte.

 

>>>>>>>>>> YOKE

 

V13, « Zone de silence » EP

Sorti dans la plus grande discrĂ©tion en novembre dernier – info diffusĂ©e par le groupe, pas de label, chroniques rares -, ce EP est le 4e disque de V13. Six annĂ©es et un nouveau bassiste, Ă©galement aux claviers, le sĂ©pare du prĂ©cĂ©dent album. Il Ă©tait enregistrĂ© chez Albini Ă  Chicago. Celui d’avant Ă  GenĂšve chez Morratel. Celui-lĂ  a Ă©tĂ© mis en boĂźte Ă  Bourg-en-Bresse. Retour aux sources.

Une matiĂšre dure et sombre. Des explosions de rage froide qui alternent avec les accalmies lumineuses ou embuĂ©es. Une Ă©criture tranchante, ciselĂ©e, qui taille des contrastes forts, joue la lenteur pour encore plus de dĂ©termination – pour, comme le dit le groupe, ne frapper qu’un coup. Plus cohĂ©rents et matures  peut-ĂȘtre que les prĂ©cĂ©dentes productions du groupe, les cinq titres de ce EP ont tous un air de famille marquĂ© et pourtant se distinguent trĂšs nettement, tant l’Ă©criture creuse chaque idĂ©e jusque dans ses retranchements, taille chaque riff jusqu’Ă  l’Ă©pure. La guitare slide titubante de RemĂšde. L’intervention efficace et dĂ©cisive des claviers, ses ornements soyeux sur la reprise de Gainsbourg, L’HĂŽtel particulier. La basse de DĂ©dale, sinueuse comme les dubs nocturnes de Hoover, puis la longue montĂ©e en tension dissonante, tournoyante, se tordant sur elle mĂȘme, prenante comme une nausĂ©e.

Et la voix, parfaitement cohĂ©rente avec cette Ă©criture au cordeau. Textes Ă©vocateurs, fragmentaires. GoĂ»t pour le mot rare. Voix blanche. PhrasĂ© raclĂ© dans lequel on entend toujours l’Ă©cho lointain de Noir dĂ©sir. Il y a pas de mal. Mais auquel on peut aussi trouver une parentĂ© avec d’autres formations marquantes du rock d’ici, passĂ©es ou actuelles. Diabologum, les grenoblois de Varsovie ou – pourquoi pas – Amanda woodward.

Un peu ascĂ©tique de premier abord, « Zone de silence » se fait peu Ă  peu familier. Les contrastes finissent par s’Ă©claircir, on y trouve sa place et l’intĂ©rĂȘt pour ce groupe de caractĂšre fait peu Ă  peu place Ă  l’envie impĂ©rieuse de les voir sur scĂšne.

>>>>>>>>>> V13

Tuco, « Bottomless » LP

Sorti ? Pas sorti ? En rĂ©alitĂ©, ce premier long format de Tuco est en ligne depuis novembre dernier mais la version physique qui devait suivre n’est pas encore disponible. Peu importe, le trio maousse costaud trace ici un trait d’union avec son premier EP, petit bijou de noisecore lourdingue et rutilant, sorti 8 ans auparavant. Oui, 8 ans… leur plan de carriĂšre n’appartient qu’Ă  eux-seuls.

Comme le suggĂšre la pochette, Tuco aime les architectures massives, complexes, tortueuses, les murailles imprenables qui en imposent mais qui recĂšlent aussi des passages dissimulĂ©s, des ouvertures insoupçonnĂ©es oĂč passe la  lumiĂšre. L’album dĂ©marre de maniĂšre fracassante avec Unfit. Titre magnifique – le meilleur peut-ĂȘtre – traversĂ© de soubresauts, de convulsions, de faux-dĂ©parts. Voix teigneuse, cascade de riffs plombĂ©s en ciment armĂ© qui se diluent soudains dans des arpĂšges en eaux troubles. Tout au long des sept titres qui composent le disque et dont les noms – Enough, Spit, Bottomless, Part-time life – claquent de maniĂšre cinglante, le groupe fait la dĂ©monstration de sa capacitĂ© Ă  faire jouer les riffs dans sa machinerie complexe, Ă  les envisager sous tous les angles d’une maniĂšre quasi scientifique avec une prĂ©cision qu’on pourrait dire helvĂ©tique (si on n’avait pas peur des clichĂ©s).

Serge Morratel – spĂ©cialiste en machineries lourdes et de haute prĂ©cision, justement – Ă©tait le partenaire en crime idĂ©al pour concocter le son cette entreprise. Bien que, Ă  y rĂ©flĂ©chir, j’ai une petite prĂ©fĂ©rence pour le son du EP, un poil plus lourd, avec une basse plus proĂ©minente. De la mĂȘme maniĂšre, sur la longueur, le disque fait une impression un brin monolithique et un changement d’ambiance, une cassure, aurait Ă©tĂ© bienvenu. Mais, comme Monolith est le titre d’un des morceaux, il se pourrait bien que ce soit voulu et cela reste tout de mĂȘme de la belle ouvrage.

>>>>>>>>>> TUCO