
Est-ce qu’il existe vraiment, ailleurs, un Ă©quivalent de Drone to the bone ? One-man collectif genevois dĂ©versant un flot quasi continu de concerts dantesques, Ă©lectron libre fouillant sans relĂąche les entrailles de l’underground mondial pour en extraire et propager des pĂ©pites. DĂ©couvert en 2014 avec le concert Suma/Rorcal/Intercostal, c’est un fil qu’on n’a cessĂ© de dĂ©rouler et de suivre. Du black-metal d’avant-garde au hip-hop expĂ©rimental, de la noise torturĂ©e aux folk songs hantĂ©es ou au post-rock contemplatif – Ă ce niveau, ce n’est plus de la programmation, c’est de l’art. Ou juste un gars qui fonctionne Ă l’instinct. Les 10 ans de l’asso approchant – qui seront fĂȘtĂ©s dignement par 10 jours de concerts en octobre 2019 -, l’idĂ©e d’en savoir plus et d’interroger Bruno me tournait dans la tĂȘte, quand je suis tombĂ© sur cette interview longue et fouillĂ©e et dĂ©couvrait que STN zine – fanzine genevois publiĂ© sur papier dont on reparlera trĂšs bientĂŽt – avait fait le job ! Restait plus qu’Ă contacter Trvs et Laar pour leur demander si je pouvais la relayer sur Rad-Yaute – ce qu’ils ont acceptĂ© avec empressement. Merci encore Ă eux. En avant.

PrĂ©sente-toi briĂšvement, dis-nous qui tu es et ce que tu faisâŠ
Salut ! Bruno / 34 ans /bibliothĂ©caire / pĂšre de famille /musicien / gentil organisateur /passionnĂ© / un peu fou. Drone to the Bone est mon troisiĂšme âenfantâ, si je puis dire, que jâĂ©lĂšve avec ardeur depuis bientĂŽt 10 ans.
As-tu des activités musicales ou artistiques ?
Jâai jouĂ© pendant 11 ans au sein de Rorcal, doom / black metal, de GenĂšve. Mais plus rien sur le feu depuis deux ans (mĂȘme si ça me dĂ©mange grave).
Quâest-ce que Drone to the Bone ?
Drone to the Bone câest Ă ce jour quelques 150 concerts organisĂ©s sur GenĂšve pour prĂšs de 250 groupes originaires des quatre coins de la PlanĂšte. Drone to the Bone câest une passion immodĂ©rĂ©e pour le Doom, le Sludge, le Black Metal, la Noise, mais pas que. En 2019, Drone to the Bone fĂȘte ses 10 ans et câest super.
Sâil faut causer origines, ça remonte Ă loin. On a commencĂ© Ă organiser nos premiers concerts dans les squats de la rĂ©gion au dĂ©but des annĂ©es 2000, avec les copains (sous lâĂ©gide de Sigma Records), puis de fil en aiguille on a investi les maisons de quartier, tous les espaces alternatifs qui voulaient bien nous recevoir (Artamis et jâen passe), pour terminer Ă LâUsine, « comme des grands ». Il y a eu une grosse pause â en tout cas pour ma part – parce quâĂ un moment donnĂ© jâavais moins le temps et surtout moins lâenvie de le faire, puis je mây suis remis. On a montĂ© une nouvelle asso en 2009 avec dâautres copains (Stone Cult), mais je mâen suis finalement trĂšs rapidement dĂ©tachĂ© ; devoir discuter et argumenter avec trois personnes Ă lâĂ©poque si on faisait tel ou tel groupe ou non mâa bien gavĂ©… il faut dire quâon avait pas forcĂ©ment tous les mĂȘmes envies et que nos affinitĂ©s musicales en fin de compte ne coĂŻncidaient pas toujours, ce qui au final, en ce qui me concerne, Ă©tait plus frustrant quâautre chose. Câest Ă ce moment-lĂ que je me suis ouvertement lancĂ© dans lâaventure Drone to the Bone, Ă la fin 2010. Un petit radeau sur lequel je suis seul maĂźtre Ă bord. Seul Ă dĂ©cider de tout, selon ce que jâai envie de faire ou non. ZĂ©ro compromis, zĂ©ro blabla ; juste une passion que je suis comme un mantra, et un dĂ©vouement que je continue de cultiver jour aprĂšs jour. Si j’ai envie de faire un gig de Funeral doom, je le fais. Si jâai envie de faire une soirĂ©e Hip-Hop, je le fais. Si jâai envie de faire un sombre groupe du trou-du-cul du Locle ou Dieu-sait-oĂč qui potentiellement nâintĂ©resse pas grand monde Ă part moi, je peux le faire aussi. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale je m’entends assez bien avec moi-mĂȘme alors c’est cool ; pas de temps Ă perdre en tergiversations, rĂ©unions, concertations ou je ne sais quoi. Si je veux vraiment faire un truc, je me sors les pouces du cul et jây fous.

La rumeur dit que tu travailles tout seul. On te jure quâon lâa entendu. MĂȘme que parfois on la propage nous-mĂȘme ! Est-elle vraie ?
Rumeur ou pas, tout ce qui importe Ă mon sens câest que les choses se passent, peu importent la voie et les moyens pour y arriver et peu importe qui est derriĂšre en train de pousser pour le faire, accessoirement. AprĂšs tout, il faut bien que les choses se passent, sinon on fait quoi dans cette Ville morte ? Je ne pense pas que GenĂšve soit une ville plus morte quâune autre, hein, ce serait du domaine de l’insulte que de prĂ©tendre une chose pareille quand on voit lâoffre culturelle gargantuesque. Mais sans le nombre incalculable de passionnĂ©s qui font vivre la scĂšne, la GenĂšve âalternativeâ quâon connaĂźt tous ne serait plus qu’un vieux souvenir inscrit dans les mĂ©moires des Anciens. Ceci Ă©tant, la rumeur dit vrai. Drone to the Bone câest moi (et inversement). Mais jâai de prĂ©cieux amis dans mon entourage qui rĂ©pondent toujours largement prĂ©sent lorsque jâen ai besoin, soit pour filer un coup de pouce Ă la caisse, au bar, faire le son, faire Ă manger, ou bien juste boire des coups (aprĂšs tout on est aussi lĂ pour rigoler ou bien ?). Pour le Helvete Underground en 2014, par exemple, jâĂ©tais loin dâĂȘtre seul (mĂȘme si la prog intĂ©grale reposait sur moi), idem pour les Geneva Doom Days en 2017. Pour dire vrai, parce que je trouve important de le prĂ©ciser, je suis quoiqu’il en soit rarement seul Ă faire le merdier de A-Ă - Z, dans la mesure oĂč les lieux qui mâaccueillent ont pour la plupart leurs propres Ă©quipes qui participent largement Ă ce que toutes les choses se passent Ă la cool. La prog, nĂ©anmoins, est toujours de mon ressort ; ou en tout cas dans 99% des cas, puisque Drone to the Bone tape aussi lâincruste de temps Ă autres sur quelques collaborations ponctuelles comme ça a Ă©tĂ© le cas sur les concerts de Marika Hackman, Russian Circles, Scott Kelly ou bien The Varukers plus rĂ©cemment.

Concernant le choix des groupes, est-ce toi qui les dĂ©marches ou parfois est-ce que les groupes eux- mĂȘmes viennent te proposer leurs services ?
Je reçois des dizaines de mails, tous les jours. Ce qui est plutĂŽt cool mais qui peut quand mĂȘme devenir vite chiant, dĂ©pendant les propositions. Sans compter le fait que jâĂ©coute absolument tout ce que je reçois et que je mâimpose de rĂ©pondre Ă toutes les sollicitations (mĂȘme si des fois ça me prend des semaines pour tout absorber). Je constate quâau fil des annĂ©es Drone to the Bone est devenu un incontournable pour des dates de âHardâ sur GenĂšve et que du coup mon adresse e-mail se retrouve malgrĂ© moi sur pas mal de listes de plus ou moins grosses agences de booking. Câest souvent bienvenu mais des fois je reçois vraiment des propositions qui ont rien Ă voir avec le schmilblick ; je me suis pas encore dĂ©cidĂ© malgrĂ© les sollicitations Ă me lancer dans le Ska, la chanson française ou bien la Techno indus russe, par exemple, tout comme je me tamponne le cul de faire un Ă©niĂšme band Pagan death mĂ©lodique Ă tendance viking-queer symphonique antifasciste. Dâun autre cĂŽtĂ©, je reçois Ă©galement pas mal de mails en provenance de groupes directement, de plus en plus. Ceci dit, je dĂ©marche malgrĂ© tout aussi pas mal par moi-mĂȘme ; dĂšs que je dĂ©couvre un band qui mâintĂ©resse, je prends contact et je prĂ©sente Drone to the Bone. AprĂšs, Ă priori, les choses suivent leur cours et, tĂŽt ou tard, on finit par bosser ensemble. Idem pour ce qui est des dates de derniĂšre minute, quand il sâagit de remplir un day-off sur une tournĂ©e, par exemple. DĂšs que je vois une possibilitĂ©, aussi folle et improbable soit-elle, je balance un mail ; câest dâailleurs comme ça que des monstres comme Church of Misery, Portal ou Acid King se sont retrouvĂ©s ici en plein Ă©tĂ©, alors que tout Ă©tait officiellement fermĂ©, devant un parterre dâune centaine de personnes, en conditions DIY totales, et quâils sont repartis avec passĂ© 1000 balles chacun sur un plan aux entrĂ©es… il s’en est dâailleurs fallu de peu pour quâon chope Neurosis et Eyehategod dans des conditions similaires lâĂ©tĂ© dernier! Pour ce qui est de mes sources, enfin, elles sont tout ce quâil y a de plus banal. L’inspiration peut venir dâĂ©coutes compulsives au hasard de la toile, de dĂ©couvertes au grĂ© dâun concert ou bien via des zines spĂ©cialisĂ©s ou en papotant avec les copains tout simplement. Comme nâimporte qui, je prĂ©sume ; mais comme je suis un type plutĂŽt ouvert d’esprit, cela permet sans doute d’avoir des horizons plus vastes que le âmĂ©talleuxâ ou le âcoreuxâ lambda.

Y a-t-il des styles, des groupes que tu refuses de programmer ? Ou comment choisis-tu les groupes ? Y a-t- il une sorte de « ligne éditoriale » ?
Il nây a pas de âligne Ă©ditorialeâ Ă proprement parler. MĂȘme si mes prĂ©fĂ©rences me poussent Ă programmer majoritairement des trucs qui âchient Ă mortâ, comme on dit dans le jargon. Je surkiffe le gros gros Doom, le Funeral doom en particulier, le Sludge bien Ă©pais, et certaines formes de Black metal. Jâaime bien aussi le Hardcore quand câest bien sur la brĂšche, les trucs qui partent dans tous les sens et tout ce qui a un petit cĂŽtĂ© Noise. Mais jâĂ©coute aussi beaucoup de Hip-Hop, de Drone, jâaime bien la Folk quand elle est bien dark. Le Rock psychĂ© quand ça me fait triper. Le Grind bien extrĂȘme quand chuis de mauvaise et que jâai envie de casser des trucs. La Harsh noise quand câest bien viscĂ©ral. Le Post rock quand je sens que ça mâemporte. Des tas de choses, vraiment, selon lâhumeur gĂ©nĂ©rale. Je me suis mĂȘme surpris cet Ă©tĂ© Ă programmer un rĂ©cital de piano en mode sauvage au bord du RhĂŽne pour The Eye of Time (un des tout grands moments de cette prog 2018, dâailleurs). Grosso-modo, je programme ce que je sens, quand je le sens, sans aucune retenue et sans aucun autre but que celui de me faire plaisir. AprĂšs si les gens suivent, tant mieux, ça me rend dâautant plus heureux, pour les groupes que jâaccueille, surtout. Mais le principal pour moi câest de ramener des artistes que jâai envie de voir. Point final.

Quels sont tes liens avec les scĂšnes locales ? Est-ce que tu essaies dâencourager les groupes de la rĂ©gion avec DTB ?
Encourager les groupes de la rĂ©gion nâest pas un but en soi, Ă proprement parler, il y a des tas d’autres acteurs dans la scĂšne qui se sont fixĂ©s cet objectif, et qui font largement le job. Mais vu la quantitĂ© d’artistes absolument incroyables qui nous entourent, il nây a vraiment aucune raison valable pour quiconque de ne pas soutenir le merdier ! Jâen fais par consĂ©quent un âpoingâ d’honneur Ă apporter moi aussi ma modeste pierre Ă lâĂ©difice. Jâaimerais bien dans la mesure du possible proposer un groupe suisse sur chacune de mes dates, systĂ©matiquement, ça câest vraiment quelque chose que j’aimerais pouvoir faire. Je sais par expĂ©rience Ă quel point câest chaud de trouver des dates tant que tâas pas atteint un certain âlevelâ de rĂ©putation ou que tâes trop âhors-cadreâ, alors si je peux aider, quand câest possible, je le fais. Mais ça reste toujours sur le mĂȘme principe, jâinvite personne juste pour rendre service, parce que câest des copains ou je ne sais quoi ; il faut que la musique me parle un minimum. Comment je pourrais « vendre » mes concerts si jây crois pas Ă 10’000 ? Dans la rĂ©alitĂ©, aprĂšs, câest malheureusement un principe souvent compromis (celui dâavoir des groupes locaux Ă tous les coups). Le fait est que la plupart des artistes que jâaccueille sont des groupes internationaux et qu’ils tournent rarement seuls ; si on ajoute en plus le fait que mes dates se dĂ©roulent majoritairement en semaine (du dimanche au jeudi), câest pas toujours possible ou bien souhaitable pour les salles d’accueillir un band supplĂ©mentaire. Sans parler Ă©videmment de lâaspect financier qui reste parfois un frein non nĂ©gligeable car, mĂȘme si beaucoup de groupes (notamment Ă GenĂšve) sont ok de venir pour une tape dans le dos, une bonne bouffe et des biĂšres fraĂźches, câest toujours dĂ©licat de ne pas pouvoir, au mieux, leur filer plus quâun âvulgaireâ dĂ©fraiement pour lâessence (et ça c’est quand il reste un peu de sous dans le budget).

On sâest amusĂ© Ă regarder lâĂ©volution du nombre de concerts depuis la crĂ©ation de DTB. On passe de 1 en 2010 Ă plus de 25 en 2018… Comment est-ce que tu arrives Ă maintenir ce rythme ?
Chaque annĂ©e, je me fais avoir, Ă vrai dire. Je me dis toujours Ă chaque dĂ©but de saison que je devrais fairemoins de dates (genre, une par mois, pour me prĂ©server un minimum) mais au fur et Ă mesure que les semaines passent, des opportunitĂ©s se prĂ©sentent et de fil en aiguille je me retrouve avec des mois (voire des semaines !) oĂč je me tape en fin de compte trois / quatre orgas dâaffilĂ©e ! Ce qui, en raison de ma vie privĂ©e et professionnelle nâest pas toujours simple ; il faut dire que Drone to the Bone nâest Ă©videmment pas mon job (dâailleurs je serais bien dans la merde si ça lâĂ©tait, y a pas de fric Ă se faire dans ce « bizness »!). Jâai deux enfants, un « vrai » boulot, une famille et un emploi du temps largement bien rempli. La vie est cool, franchement, mais il faut des fois bien jongler ; entre les « obligations » du quotidien et mon incorrigible tendance Ă vouloir tout faire, ça tient parfois du miracle dâarriver Ă tout goupiller. En vrai, je me fatigue moi-mĂȘme, comme un grand, Ă vouloir tout enchaĂźner comme si jâavais 20 ans alors que les lendemains de veilles sont de plus en plus rudes puisque, quoi qu’il advienne, il faut se lever Ă 6h du matâ 5 jours sur 7 pour s’occuper des kids et aller bosser. AprĂšs, ma foi, je dormirai quand je serai mort, comme on dit !

Il y a une deuxiĂšme chose qui nous impressionne avec DTB : les entrĂ©es de concerts toujours proposĂ©es Ă prix libre (en tout cas le plus souvent). Est-ce un principe qui te tient Ă cĆur ?
Si ça ne tenait quâĂ moi, tous les concerts Drone to the Bone seraient effectivement en prix libre. Mais ça, ça dĂ©pend essentiellement des lieux qui mâaccueillent.

Ce nâest pas trĂšs Ă©lĂ©gant mais la question des sous se pose. Est-ce que le fait de proposer lâentrĂ©e Ă prix libre te permet dâavoir des fonds suffisants pour continuer tes activitĂ©s ? On se dit que ton point de vue sur cette question encouragerait peut-ĂȘtre plus de personnes Ă le faire et donc Ă dĂ©diaboliser ainsi le concept bienveillant de la confiance et du partage !
Le prix libre a pour avantage que chacun, peu importe ses moyens, peut se permettre dâaller aux concerts, ce qui, Ă mon avis, est plus que cool. Les gens ont pas nĂ©cessairement besoin de scruter leur budget au centime prĂšs en se disant qu’ils ne peuvent se permettre que telle ou telle sortie et ça, Ă mon sens, vu la surabondance de l’offre culturelle de la rĂ©gion, est un sacrĂ© plus pour maintenir la scĂšne active ou en tout cas encourager les gens Ă sortir de leur cave. AprĂšs, prix libre ou non (et ça câest encore un autre dĂ©bat), beaucoup de gens, fondamentalement, en ont rien Ă foutre et prĂ©fĂšrent rester chez eux ou faire autre chose (chacun son truc aprĂšs tout). Des lieux comme La Makhno, Ă LâUsine, fonctionnent sur le principe du prix libre pour toutes leurs soirĂ©es. LâexpĂ©rience montre que ça fonctionne plus ou moins, les gens au final dĂ©pensent peut-ĂȘtre un peu moins Ă lâentrĂ©e et un peu plus au bar (ceux qui ont les moyens en tout cas). Les choses sâĂ©quilibrent, dans un sens, mais câest totalement tributaire de la âmoraleâ et des possibilitĂ©s de chacun. Ceci dit, jâai beau ĂȘtre un idĂ©aliste de premier ordre, je ne suis pas certain que le principe puisse sâappliquer partout et pour tout type d’Ă©vĂ©nements non plus. Pour parler finances, enfin, Drone to the Bone nâest pas cotĂ© en bourse. Je ne possĂšde pas dâactions non plus que je pourrais faire fructifier pour les rĂ©injecter dans le âHardâ. Drone to the Bone ne bĂ©nĂ©ficie pas de subventions non plus. Pas non plus de gĂ©nĂ©reux mĂ©cĂšnes pour alimenter financiĂšrement toutes ces folies. Jâai surtout la chance, pour ĂȘtre honnĂȘte, de bosser avec des lieux qui, comme La Makhno, Kalvingrad, LâUndertown et LâEcurie, me font confiance et peuvent se permettre de « prendre des risques » Ă ma place, dans une certaine mesure. En gros, je nĂ©gocie cachets et conditions avec les groupes ou les agences de booking, Ă la suite de quoi je fais des propositions aux salles, voir qui potentiellement veut / peut mâaider Ă faire en sorte que les choses se passent sans que jâaie Ă casser ma tirelire. Il ne me reste ensuite âplus qu’Ă â faire de mon mieux pour que ça marche, que le public suive et que tout le merdier mis en place pour y arriver ne soit pas âvainâ, si je puis dire (dans le sens Ă©conomique du terme, on sâentend). Parce que le fait est que Drone to the Bone nâa pour ainsi dire plus de fonds propres Ă disposition depuis des lustres. Le fric que je mets dedans quand il le faut vient de ma poche. Le seul moment oĂč j’ai rĂ©ussi Ă mettre des sous de cĂŽtĂ© pour Drone to the Bone, Ă vrai dire, câest en 2014 quand jâai organisĂ© une sĂ©rie de concerts de soutien au H elvete Underground (un festival sur trois jours intĂ©gralement consacrĂ©s Ă la scĂšne black metal helvĂ©tique) ; jâavais rĂ©ussi Ă l’Ă©poque Ă rassembler un petit pactole que jâavais rĂ©injectĂ© illico en promo, affiches, caterings d’accueil et un ou deux cachets…

Tout ça câest de la cuisine interne, au final, mais il sâagit de faire des âprojectionsâ et des suppositions et des calculs dâĂ©picier en essayant d’ĂȘtre le plus rĂ©aliste possible et de trouver le moyen de faire en sorte que les choses se passent sans ruiner ma fortune personnelle et la fortune des lieux et assos qui accueillent mes Ă©vĂ©nements. Le tout en veillant Ă ce que les artistes sây retrouvent eux aussi, Ă©videmment. Ăa a peut-ĂȘtre pas l’air bien compliquĂ© expliquĂ© comme ça mais ça lâest bien plus quâil nây paraĂźt en rĂ©alitĂ©. Il ne sâagit pas de prĂ©senter aux salles qui mâaccueillent un show comme un âsold-outâ potentiel alors quâon navigue la plupart du temps Ă vue et que le public potentiellement intĂ©ressĂ© par les concerts quâon fait est en baisse constante depuis des annĂ©es ; il n’y a quâĂ penser Ă la misĂ©rable dizaine de personnes qui sont venues voir Mantar, Bell Witch ou Ă
rabrot il y a quelques annĂ©es et voir les foules que ces mĂȘmes groupes dĂ©placent maintenant… il n’y a pas de rĂšgles sur lesquelles sâappuyer. Câest dâailleurs une rĂ©alitĂ© assez merdique qui fait quâon ne peut plus vraiment se permettre de prĂ©tendre sortir des âgrosâ cachets, mĂȘme pour les plus « grands » noms de lâUnderground quâon reçoit parce quâon ne sait jamais comment les choses vont finir par tourner ; câest un truc Ă devenir fou, des fois !
Mon but nâest pas de devenir le roi de lâentourloupe et de faire croire aux gens avec qui je bosse que tout ce que je leur propose est formidable et que ça va remplir leur salle, au contraire. Jâessaie de vendre le bordel tout en Ă©tant le plus transparent possible, aussi bien avec les groupes, les agences de booking et les salles avec qui je collabore. La rĂ©alitĂ© de la scĂšne est assez inquiĂ©tante et la santĂ© des clubs Ă lâheure actuelle est bien fragile, si on y pense au final ; câest Ă se demander sincĂšrement si, tĂŽt ou tard, certaines agences de booking – et par consĂ©quent les groupes qui vont avec – ne vont pas simplement finir par faire lâimpasse sur des dates en Suisse parce que le public ne suit plus ou en tout cas pas suffisamment. Sans parler des clubs qui eux aussi Ă©videmment paient lourdement le tribut de ces baisses de frĂ©quentation. Ce n’est pas un hasard, câest certain, si la plupart des orgas et assos actives dans la place finissent par poser les plaques au bout dâun moment…
AprĂšs, heureusement, les moments de kiff en ce qui me concerne sont dâune puissance telle que je finis rapidement par dĂ©dramatiser et passer outre les moments de doute, les galĂšres et les dĂ©ceptions. Sinon je crois bien que jâaurais dĂ©jĂ posĂ© les plaques Ă mon tour depuis un sacrĂ© bout de temps.

Tu sembles ĂȘtre actif uniquement Ă GenĂšve. Est-ce un choix ? Est-ce que le fait dâĂȘtre Ă GenĂšve pose moins dâobstacle par rapport Ă dâautres villes ? Et quels sont les acteurs avec qui tu travailles ?
Je suis actif Ă GenĂšve uniquement, oui. Jây suis arrivĂ© quand jâavais 8 ans, jây vis depuis pas mal d’annĂ©es, du coup. Jây ai grandi, je devais avoir 15 ou 16 ans quand jâai Ă©tĂ© voir mon premier concert Ă LâUsine, je contribue Ă la âscĂšneâ depuis bientĂŽt 20 ans, dĂ©jĂ ; ça fait un sacrĂ© bout de temps, maintenant que je regarde un peu dans le rĂ©tro ! GenĂšve est un peu devenu ma âVille nataleâ, en quelque sorte, et je mây plais vraiment pas mal. Je connais Ă peu prĂšs tout le monde, si on peut dire, ce qui pour le coup facilite franchement grandement les choses quand on fait ce que je fais. Si je devais tout redĂ©marrer Ă zĂ©ro ailleurs ce serait clairement une autre paire de manches ! Je bosse avec pas mal de monde, de LâUsine Ă L’Ecurie, lâUndertown, La Reliure… sans parler des connexions avec divers autres lieux et assos de la place comme Urgence Disk, lâAxe du Mal, Kalvingrad, Peg!, Bad Mood, LiveGeneva TV, le Collectif nocturne, le mouvement Prenons la Ville et des tas dâautres gens super. GenĂšve est un foutu carrefour depuis des dĂ©cennies pour les scĂšnes punk / rock / hardcore etal et affiliĂ©s et câest une tradition que jâessaie de contribuer Ă faire perdurer mĂȘme si, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, hĂ©las, comme partout en Suisse apparemment, je me rĂ©pĂšte, le public peine Ă se renouveler.

Est-ce quâil y a dâautres acteurs avec qui tu collabores hors frontiĂšres genevoises ou mĂȘme suisses quâon nâaurait pas vu ? Aimerais-tu Ă©tendre tes activitĂ©s Ă dâautres villes ?
Au fil des annĂ©es, jâai construit un assez gros rĂ©seau, câest sĂ»r ; rĂ©seau qui dĂ©passe largement les frontiĂšres helvĂ©tiques, dâailleurs (Ă force de bourlinguer avec Rorcal, notamment). AprĂšs câest pas dans mes plans de monter des satellites Drone to the Bone dans dâautres villes ou de me lancer dans une agence de booking, par exemple. Je continue dâexploiter et dâentretenir ce rĂ©seau, câest sĂ»r, en mettant en place de temps en temps des sĂ©ries de dates pour des groupes que je reçois Ă GenĂšve comme je lâai fait pour Suma en 2014 avec une date supplĂ©mentaire Ă BĂąle ou bien pour Leng Tchâe cette annĂ©e avec une date Ă Winterthur et une autre Ă Strasbourg, mais ça sâarrĂȘte lĂ . Drone to the Bone ça se passe Ă GenĂšve pour le moment et câest dĂ©jĂ bien assez de boulot comme ça.
Pour parler connexions, ceci dit, elles sont multiples et beaucoup trop nombreuses pour ĂȘtre Ă©numĂ©rĂ©es. Jâai une profonde admiration pour tout ce que fait Damien Ă Urgence Disk, le shop de disques de LâUsine, Ă GenĂšve. Idem pour les copains dâHummus Records Ă La Chaux-de-Fonds, lâĂ©quipe de Deep Drone Ă BĂąle… Ceci dit, je tiens Ă jour une liste assez consĂ©quente sur mon site alors il nây a quâĂ suivre les liens pour connaĂźtre lâĂ©tendue de cette joyeuse constellation qui ne cesse de s’Ă©tendre.

Y a-t-il des obstacles auxquels tu es confrontĂ© parfois ? Par exemple, est-ce que des dĂ©fenseurs des bonnes valeurs de la croix Ă lâendroit tâenvoient des courriers menaçants pour te faire savoir que tes concerts sont un peu trop sombres et tâaccusent de faire la promotion du Satan ?
Jâai jamais eu de soucis ce type, et je le regrette parce que ça mâaurait beaucoup amusĂ©. Mais certains groupes que jâai programmĂ©s ont Ă©tĂ© taxĂ©s de ânazisâ (Ă tort selon moi, sinon il est Ă©vident que je ne les aurais pas accueillis), ce qui Ă mon sens est bien plus sĂ©rieux et problĂ©matique et qui mâa dâailleurs valu quelques problĂšmes Ă un moment donnĂ© avec certaines salles. AprĂšs, lâaffaire est close alors je ne mâattarderai pas davantage sur le sujet et je ne donnerai pas de noms non plus.
Le seul vĂ©ritable obstacle, et pas des moindres, est une grande constante pour toutes celles et ceux qui se dĂ©mĂšnent pour organiser des trucs : la galĂšre du manque de lieuxâŠ

Les questions un peu feelgood maintenant : quel(s) est/sont le(s) concert(s) dont tu es le plus fier/content/qui tâont le plus fait kiffer ?
Sâil fallait nâen choisir quâun, je dirais Sourvein en 2011 ; mo-nu-mental. Il y a dâailleurs encore une ou deux vidĂ©os qui traĂźnent sur le Tube et qui font du bien quand je me dis que les gens suivent pas comme jâaimerais et que ça me fait chier. Mais il y a bien trop de kiffs chaque annĂ©e ! Eagle Twin en 2010, Saviours en 2011, Hexis et This Gift is a Curse en 2012, Meth Drinker et Graves at Sea en 2013 (dire quâon Ă©tait genre 12 Ă cette soirĂ©e !) … SubRosa et Darkspace en 2014, Portal et Impetuous Ritual en 2015⊠Oddateee, Sole et Ă
rabrot en 2016⊠Oranssi Pazuzu, Impure Wilhelmina, Jozef van Wissem, Coilguns… des trĂšs grands moments Ă chaque fois ! Jucifer et Walk Through Fire en 2017, Eyes, Svartvit et Dark Buddha Rising en 2018… Pfff. Beaucoup trop de gens cool et de concerts mĂ©morables ! Et la liste ne cesse de sâallonger, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, câest dâla folie !

Et la deuxiĂšme question un peu bitchy mais en quelque sorte feelgood aussi, quel est/sont le(s) concerts qui tâont posĂ© le plus de problĂšme/que tu as dĂ©testĂ© organisĂ©/qui te font dire « oh merde, jâespĂšre quâils ne sont pas comme ceux-là » Ă chaque nouveau concert ?
Je ne regrette absolument rien de ce que jâai fait. Mais il y a bien eu deux ou trois accrochages notamment sur des dates pour des groupes de black metal dont je me serais bien passĂ©. Des groupes que je ne referai pas, Ă priori (quoique je ne suis pas un type trĂšs rancunier), mais par respect pour les protagonistes je tairai leur nom. Et puis de toute maniĂšre câest passĂ© et on ne peut plus rien y faire, ça sert Ă rien de remuer la merde.
Depuis ces âincidentsâ, ceci dit, Ă chaque fois que je reçois des groupes de black metal (mĂȘme si câest somme toute assez rare), je crains de me retrouver avec le mĂȘme genre dâabrutis. AprĂšs si vous voulez absolument des noms on peut en causer autour dâune mousse, hein, câest pas un secret dâEtat non plus mais il nây a aucun intĂ©rĂȘt, ni pour moi ni pour les personnes concernĂ©es, Ă chier dans la soupe publiquement. Au fond, mĂȘme si parfois je peine Ă avaler la pilule, je pense quâon est tous humains et que des fois on peut faire ou dire dâla merde ; jâaime Ă croire que les gens peuvent changer, câest pas parce quâune fois tu tâes comportĂ© comme un connard que tu seras un connard toute ta vie.

As-tu une anecdote ou aventure que tu aimerais partager ?
Il y en a un paquet mais il y en a une qui mâamuse beaucoup. CâĂ©tait plutĂŽt angoissant sur le moment mais une fois que câĂ©tait passĂ© on a bien ri. Une date de 2015, quand Jozef van Wissem sâest rendu compte que son luth sâĂ©tait cassĂ© durant le voyage, un dimanche, et que tous les luthiers de la ville Ă©taient soit fermĂ©s soit absents. Sans compter que le luth sâĂ©tait brisĂ© pile entre le haut du manche et le chevillier (la tĂȘte) ! Des dizaines de coups de fil pour essayer de trouver un luth de rechange, en vain. On a fini par fixer tout ça Ă la super-glue, trois heures avant le concert… A chaque pause entre les morceaux, Wissem accordait son luth et Ă chaque tour de cheville on serrait les dents de peur que ça pĂšte Ă nouveau !
Il y a aussi eu la fois oĂč Supayniyux ont repeint les murs et le sol de La GraviĂšre avec quelques litres de sang de cochon… la fois oĂč Impetuous Ritual ont bouchĂ© la douche avec de la boue et des feuilles mortesâŠ

Est-ce que tu aurais envie dâĂ©tendre les activitĂ©s de DTB ? Par exemple, lancer un label, organiser un festival ou avoir ta propre salle de concert ? En gros, quels sont les projets quâil tâintĂ©resserait de rĂ©aliser ?
Des festivals, jâen fais de temps Ă autres ; il y a eu le Helvete Underground en 2014, un festival intĂ©gralement consacrĂ© Ă la scĂšne black metal helvĂ©tique, il y a aussi eu deux Ă©ditions des Geneva Doom Days, lâune en 2013, lâautre en 2017, un festival plutĂŽt orientĂ© doom et black metal avec quelques incursions hip- hop lors de la seconde Ă©dition. AprĂšs ce nâest pas un but en soi, jâai pas lâintention chaque annĂ©e ou tous les 3, 4, 5, 6 ans de rĂ©itĂ©rer la mĂȘme formule. Un label, je ne crois pas que ça me tente plus que ça mais je nây ai jamais vraiment pensĂ©. Peut-ĂȘtre un dĂ©lire du genre « print on demand » comme ça se fait actuellement pour les livres aurait un intĂ©rĂȘt Ă ĂȘtre dĂ©veloppĂ© ? Je pense Ă voix haute, jâen sais rien.
En revanche, Ă terme, avoir une salle sous la main ne serait pas de refus. Pas que jâestime le mĂ©riter plus que dâautres, au contraire, mais une salle supplĂ©mentaire, avec une petite jauge, quâon partagerait entre divers acteurs de la scĂšne, rendrait bien service Ă toute la communautĂ© câest certain. Pour le moment, dans tous les cas, jâorganise des dates Ă gauche Ă droite sans me poser trop de questions et ça va bien comme ça. Affaire Ă suivre.
Tu es libre dâajouter ce dont tu as envie Ă cette interview ! Fanzine libre, on fait et on dit ce quâon veut !
Merci pour cet espace de libertĂ©. Vous ĂȘtes supers ! Continuez ! Le bon sens voudrait que je mâĂ©tale ici sur la nĂ©cessitĂ© de soutenir les scĂšnes locales et tout le blabla. Mais je pense que vous ĂȘtes bien assez grands pour en tirer vos propres conclusions. Gloire Ă Satan et tous les activistes. Drone to the Bone est Amour.

>>>>>>>>>> DRONE TO THE BONE