
Comme son groupe, qui joue avec la mĂȘme ferveur devant des milliers de personnes ou pour quelques fans regroupĂ©s dans une salle, Lou Koller, chanteur-hurleur de Sick of it all, ne fait pas de diffĂ©rence entre les questions dâun petit fanzine ou celles dâune grosse tĂ©lĂ©. MĂȘme simplicitĂ©, mĂȘme franchise. MĂȘme entrain pour faire connaĂźtre et dĂ©fendre la musique et la scĂšne de New-York. Lâoccasion Ă©tait donc trop belle, lors leur passage Ă Annecy pour la tournĂ©e anniversaire des 30 ans de SOIA, de causer un peu avec ce morceau dâhistoire du New-York hardcore.
Cette interview est dédicacée à Wladi et à Megablast Limoges.
Quelle est votre relation au sport ? Les groupes de New-York hardcore sont connus pour ĂȘtre plutĂŽt costaudsâŠ.
Exact, tout le monde est trĂšs athlĂ©tique ! Mais je suis le plus fainĂ©ant de toute cette scĂšne ! Dans le groupe, mon frĂšre Pete, câest du non-stop. En tournĂ©e ou hors-tournĂ©e, il sâentraĂźne sans arrĂȘt ! Greg sâentraĂźne aussi mais, quand on est sur la route, Pete est le seul Ă faire des exercices tous les jours. Moi je dĂ©teste ça, câest trop chiant ! Mais bon, jâai la chance dâavoir toujours Ă©tĂ© mince. Le seul truc dont jâai besoin, câest lâendurance. A chaque fois, quelques semaines avant de partir en tournĂ©e, câest du genre : Eh merde, on repart en tournĂ©e, faut que je fasse quelque chose ! Et je me mets Ă courir et Ă faire des exercices. Juste un peu, je devrais en faire plus mais jâai un petite fille de 6 ans et ça me fait bien dĂ©jĂ courir. Par beau temps, on est toujours dehors et mĂȘme en hiver on sort jouer dans la neige, dans la boue, peu importe !
DâoĂč est-ce que ça vient, cette prééminence du sport et de lâentraĂźnement, dans la scĂšne hardcore new-yorkaise ?
De la pĂ©riode des squatts, au tout dĂ©but. On squattait dans des quartiers maintenant trĂšs agrĂ©ables mais qui Ă©taient vraiment dangereux Ă lâĂ©poque, avec pas mal de gangs de rues. Les gens dâAgnostic front et des Cro-mags vivaient dans des squatts et les gangs pouvaient arriver Ă nâimporte quel moment pour les chasser du lieu. Et puis, ils y vivaient, rĂ©paraient le batĂźment, bricolaient lâĂ©lectricitĂ©, en plus de faire face aux gangs. Je pense que câest une idĂ©e que les gens se sont faites Ă partir des premiĂšres photos dâAgnostic front, des Cro-Mags ou mĂȘme de Murphyâs law, qui Ă©taient tous bien costauds. Tout le monde Ă©tait Ă fond dans les arts martiaux…
Puisquâon parle de la scĂšne new-yorkaise, jâai toujors eu lâimpression que le NYHC câĂ©tait pour une part ĂȘtre fier de lâendroit dâoĂč on venait, de sa communautĂ©. Est-ce que câest vrai et, Ă ton avis, dâoĂč ça vient ?

Hmm…, je ne sais pas si câest quelque chose de propre Ă New-York. Avant il y avait la scĂšne de Boston qui avait sorti la compil « This is Boston not L.A. » et je crois quâils Ă©taient fiers de lâendroit dâoĂč ils venaient, eux aussi. Au tout dĂ©but, New-York Ă©tait coincĂ©e entre la grande scĂšne hardcore de DC et celle de Boston. Bien sĂ»r, on avait notre propre scĂšne mais au dĂ©but elle nâĂ©tait pas trĂšs connue Ă travers le pays. DâoĂč la fiertĂ© lorsquâelle a acquis davantage de reconnaissance. Nous, on a eu de la chance, quand on est venu pour la premiĂšre fois en Europe en 1992, le travail de fondation avait Ă©tĂ© fait par des groupes comme Agnostic front ou les Gorilla biscuits, qui nâĂ©taient pas trĂšs connus mais qui se dĂ©menaient pour faire un maximum de tournĂ©es. Et tout le monde se demandait « Cest quoi ce nouveau style, le New-York hardcore ? » On a vraiment eu de la chance, parce que quand on est venu, tout le monde Ă©tait intĂ©ressĂ© par le hardcore de New-York. Et donc, on sâen est rĂ©clamĂ© parce que câest de lĂ quâon venait aussi. Parfois les gens disent « Vous ĂȘtes les rois du New-York hardcore » mais nous, on veut ĂȘtre les rois de rien du tout ! On voudrait ĂȘtre les ambassadeurs du New-York hardcore. On a ouvert pour des groupes de mĂ©tal, pour Slayer, pour Exodus, on a tournĂ© avec les Bosstones (Mighty-Mighty Bosstones, ska-punk NDLR) parce quâon veut que le monde voit ce quâon aime. Donc, je ne pense pas que ce soit propre Ă New-York. Câest comme le foot : les gens sont fous de lâĂ©quipe de leur ville mais ils soutiennent aussi leur Ă©quipe nationale.

A ton avis, est-ce que câest liĂ© aussi Ă lâorigine sociale des gens investis dans la scĂšne hardcore ? Quelque chose de liĂ© Ă des origines ouvriĂšres ?
Les origines des gens Ă©taient assez variĂ©es. Surtout une fois que la scĂšne est devenue assez connue, elle a attirĂ© pas mal de gamins. Moi par exemple, je viens de la banlieue, du Queens oĂč la scĂšne punk et hardcore Ă©tait Ă©norme. Les Ramones venaient de lĂ -bas et des groupes comme Murphyâs law et Leeway aussi. Une bonne partie des membres de Reagan youth venaient du Queens. Puis, on a tous migrĂ© vers Manhattan, oĂč se passaient vraiment les choses. MĂȘme lĂ , câĂ©tait « Sick of it all, les mecs du Queens » et puis câest juste devenu le hardcore de New-York. Câest Ă©trange mais oui, je dirais que ça a Ă voir avec la culture ouvriĂšre. Mais bon, il y en a qui venaient de familles aisĂ©es, comme les mecs de Youth of today, qui Ă©taient du Connecticut â Youth of today, un groupe emblĂ©matique du New-York hardcore !
Vous jouez dans beaucoup de gros festivals maintenant. Est-ce que vous jouez souvent dans des salles plus petites et quâest-ce que tu prĂ©fĂšres ?
Jâaime les deux ! Jâaime vraiment le dĂ©fi de jouer dans de gros festivals, dâessayer de capter lâattention de 10 ou 20 000 personnes et de les ouvrir Ă ton style de musique. Mais les clubs câest parfait, tu sais que câest 90 % de fans et que ça va ĂȘtre lâĂ©clate. Sur une tournĂ©e comme celle-ci, on fait 3 petits concerts, puis le Hellfest, le Graspop et retour aux petits clubs.
Donc vous nâĂȘtes pas frustrĂ©s de plus petites salles ?
Non, non, pas du tout. LâannĂ©e derniĂšre, on a jouĂ© au Secret spot (Je crois quâil sâagit en fait du Secret place NDLR) Ă Montpellier. La scĂšne Ă©tait minuscule et le concert incroyable. Des gens juste devant toi, qui te rentrent dedans. GĂ©nial.

Ma prochaine question nous fait pas mal remonter dans le passĂ©. Je me rappelle que vous aviez fait un dĂ©bat Ă la radio de lâuniversitĂ© de New-York* avec les gens de Born against, tu tâen rappelles ?
Ha ha ha, tu parles si je mâen rappelle !
…et jâai lu que, mĂȘme si vous nâaviez pas la mĂȘme vision des choses, tu Ă©tais dâaccord sur certains points. Je me demandais sur quoi exactement ?
Mais je lâavais dit mĂȘme Ă ce moment-lĂ ! Je comprenais ce quâils voulaient dire mais ils refusaient de comprendre notre point-de-vue ! Dans Sick of it all, Ă lâĂ©poque, on bossait tous et certains dâentre nous travaillaient et allaient Ă lâĂ©cole en mĂȘme temps. Et ils nous disaient « Vous devriez fonder votre propre label ! » Putain, quand est-ce que jâaurais eu le temps ? Faut que je paye le loyer, que jâaille au boulot, jâai pas le temps de faire un label ! Peut-ĂȘtre, avec le recul, quâon aurait dĂ» crĂ©er notre propre label, peut-ĂȘtre quâon aurait dĂ» tout faire nous-mĂȘmes, on aurait probablement gagnĂ© beaucoup plus dâargent ! Peut-ĂȘtre⊠on sait pas ! Mais bon, on travaillait toute la semaine et le vendredi on empilait le matos dans le van, on conduisait 5 ou 10 heures : concert. Le samedi : concert. Le dimanche : concert. Retour Ă la maison le dimanche soir. Lundi matin : retour du matĂ©riel, et direct au boulot. On a fait ça pendant des annĂ©es ! Alors, quand quelquâun est venu et nous a proposĂ© de sortir nos disques, on a dit oui, bien sĂ»r. Mais je comprend ce quâils voulaient dire⊠Tu sais, câest marrant parce que, des annĂ©es aprĂšs, lâun dâentre eux, je ne me rappelle plus qui, a dit dans une interview « On avait nos convictions et ils avaient les leurs mais, hey, Sick of it all continuent Ă jouer et ils tournent plutĂŽt pas mal donc je suppose quâils ont gagnĂ©. » Mais gagner, câĂ©tait pas le but ! CâĂ©tait plutĂŽt de comprendre les points-de-vue de chacun !

A propos de New-York, câest une ville qui avait la rĂ©putation dâĂȘtre trĂšs violente autrefois et qui est aujourdâhui prĂ©sentĂ©e comme une des plus sĂ»res des Etats-Unis, quâen penses-tu ?
C’est vrai dans une certaine mesure. Il y a toujours du crime mais ça a bien diminuĂ©. Mais câest Ă double-tranchant : ils nettoient la ville mais elle perd beaucoup de sa personnalitĂ©. Une ville cool nâest pas obligĂ©e dâavoir des dealers Ă chaque coin de rue, des agressions et des gangs, mais ce sont les grosses entreprises qui ont pris la place. Il y avait beaucoup de petits restaurants (« Mom and pop restaurants » NDLR) et maintenant câest beaucoup de grosses chaines et moi, jâen ai rien Ă foutre de ce genre de trucs. Je vais trĂšs rarement Ă Manhattan aujourdâhui, je vis dans le New-Jersey. Je vais dans le Queens, Ă Brooklyn, mon ancien quartier, câest toujours comme avant. Jâai de bons amis qui ont vĂ©cu dans leur appartement Ă Brooklyn pendant des dizaines dâannĂ©es et qui ont Ă©tĂ© obligĂ© de partir plus vers lâextĂ©rieur parce que le quartier sâembourgeoise (« is getting gentrified » NDLR). Câest ça le progrĂšs, je suppose (rires).
Si tu avais un ami qui venait Ă New-York pour la premiĂšre fois, quels sont les endroits que tu lui conseillerais ?
Je pense que je conseillerais toujours Manhattan. MĂȘme si câest bizarre parce quâaujourdhui je connais des magasins de musique hors de New-York qui sont bien meilleurs que ceux de Manhattan. Vers le Bronx, il y a un endroit qui sâappelle Hastings-on-Hudson et il y a un magasin de disques, Clockwork records, tenu par un gars qui Ă©tait dans la scĂšne. Il Ă©tait toujours avec nous et son magasin est un des meilleurs de New-York ! Mais bon, il y a toujours la boutique New-York Hardcore Tattoos et encore quelques magasins de disque dans le centre mais en ce qui concerne les clubs, tu ne peux pas te tromper avec le Webster hall, lâABC No Rio qui fait toujours des concerts hardcore en sous-sol⊠Mais ils dĂ©mĂ©nagent bientĂŽt, le bĂątiment a Ă©tĂ© achetĂ©.

As-tu un groupe français préféré ?
Un groupe français ? Oh⊠Je les connais pas assez⊠On en voit tellement⊠(Il cherche, il cherche…) Ah, jâaime Black Zombie Procession ! On les a rencontrĂ©s lâautre soir, ils nous ont donnĂ© des CDs et câĂ©tait vraiment bien ! Super crossover !
Vous avez pas mal de morceaux aux influences punk-rock. Est-ce-que câest une direction dans laquelle vous allez vous diriger de plus en plus ?
Câest quelque chose quâon joue depuis des annĂ©es et des annĂ©es ! Depuis le tout dĂ©but mĂȘme, dans le premier album : Friends like you, Give respect Ă©taient influencĂ©es par le punk et la OĂŻ quâon adore, tout comme le harcore et le mĂ©tal ! Les gens nous disent souvent : vous devriez Ă©crire plus de titres avec des choeurs comme Stepdown ou Die alone et dâautres veulent plus de trucs lourds comme Scratch the surface. On vient de faire un nouvel EP pour le 30e anniversaire, 5 morceaux, plus orientĂ©s lourd, mais avec des refrains OĂŻ. Donc ça reste toujours avec nous ! Les gens nous disent : regardez Hatebreed, câest que du lourd et toute la salle devient dingue ! Mais nous, en concert, on a des supers rĂ©actions sur nos morceaux lourds et quand on fait nos singalongs, la salle explose ! Et ça, on pourra jamais sâen passer ! Mais je vois ce que tu veux dire… Pete Ă©coute de plus en plus de punk, je sais pas si câest parce quâil vieillit… Câest un peu flippant : parfois il joue des trucs, je lui demande ce que câest et en fait câest des nouveaux morceaux vraiment punk. Mais quand il arrive au studio, il a toujours plein de riffs lourds aussi. Moi, je prĂ©fĂšre les trucs lourds ! (rires)
Je pensais Ă Agnostic front, en fait, qui ont lâair dâaller de plus en plus dans cette directionâŠ
Le truc avec Agnostic front, câest que « Victims in pain » est tellement un classique. Pour moi, câest ça Agnostic front. « Cause for alarm » Ă©tait bien mais câĂ©tait un tel changement. Ils sont comme nous, des dizaines dâannĂ©es Ă trouver le bon Ă©quilibre entre le lourd et les influences plus punk. « One voice » Ă©tait un super disque et puis ils ont quasiment virĂ© total street-punk et câĂ©tait classe. Et ils se sont remis Ă faire des morceaux plus lourds et je trouve que ça fonctionne bien aussi. Nous aussi, on a eu des pĂ©riodes, plus punk-rock quand on Ă©tait sur Fat Wreck, puis plus lourd⊠Mais bon, je crois quâaujourdâhui, on est revenu Ă ce qui nous convient le mieux !
* Ce dĂ©bat opposait entre autres des membres de Sick of it all Ă ceux de Born against, qui prĂŽnaient une approche beaucoup plus politique et radicale de la musique, refusant de fontionner Ă lâinterieur du capitalisme. En France, Born against et la philosophie Do it yourself radicale inspireront notamment toute une scĂšne autour de Stonehenge records.
Les photos de cette interview sont l’oeuvre de Karine, merci ! Cette interview est une collaboration avec le chouette webzine Rictus.

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