
AprĂšs la sortie de son premier album, Ă la fois attachant et impressionnant, sans parler de leurs prestations scĂ©niques enflammĂ©es, une interview avec Nurse s’imposait. On a pris rendez-vous Ă leur local de rĂ©pĂ©tition au Poulpe, enclenchĂ© le bouton On de la camĂ©ra et laissĂ© filĂ© l’enregistrement. Ben (chant), Ram (basse), Manu (guitare) et Simon (batterie) se sont prĂȘtĂ©s avec bonne humeur au jeu de ce qui Ă©tait au final plus une conversation en roue libre entre copains, un peu réécrite et recomposĂ©e pour que le rĂ©sultat soit lisible et intĂ©ressant.
PremiĂšre question un peu dĂ©bile : votre album est sorti il y a un mois, est-ce que vous ĂȘtes contents ?
Nurse : On est contents! CâĂ©tait trĂšs trĂšs long, deux ans, quasiment.
Manu : Trois ans pour composer, deux ans à enregistrer !
Pourquoi est-ce que câĂ©tait aussi long ?
Ben : Jâai mis Ă©normĂ©ment de temps Ă trouver mes lignes de chant. Il fallait que je digĂšre le style quâon avait mis en place tous les quatre. Jâavais jamais Ă©crit de chant mĂ©lodique, jâai fait que du hardcore avant ! Et puis, il mâa fallu un an pour me trouver une technique dâenregistrement. Le studio, ça me gave. Jâai enregistrĂ© tout seul avec des enceintes. Je passe lâenregistrement. A fond – tu rentrais dans la piĂšce, ça faisait mal. Micro Ă la main, jâai tout enregistrĂ© comme ça. Câest en prenant le temps que jâai fini par trouver ça. Je pouvais faire ce que je voulais. JâĂ©tais pas content, je recommençais. Maintenant que je sais comment jâenregistre, je pense que ça ira plus vite Ă lâavenir.

A Ugine, juin 2016
Est-ce que vous pourriez me refaire lâhistorique de Nurse ?
Ben : Les deux garçons lĂ (Manu et Ram) jouaient dans un groupe qui sâappelait Shivaz et moi, jâavais un groupe de fusion, Full dawa. On a commencĂ© Ă se connaĂźtre sans jouer ensemble. Shivaz ont eu un mini succĂ©s local et ensuite jâai montĂ© un groupe de metal-hardcore qui sâappelait NFO. Eux, ils avaient un peu envie dâarrĂȘter Shivaz. Et moi, ça me disait bien de faire autre chose que du mĂ©tal. On a montĂ© ce projet – Borefat cohesion – on a fait un petit disque auto-produit. Quelques concerts. Les gens aimaient bien. Et puis, on a voulu enregistrer un nouveau truc. Sauf que le batteur est pas venu. Du coup, ça sâest arrĂȘtĂ©.
Manu : Et le jour mĂȘme, jâai appelĂ© Simon.
Donc ça, câest lâancĂȘtre de Nurse…
Ben : Yâa encore un truc entre les deux. On a composĂ© avec Simon, sur les cendres de Borefat. En faisant un peu le mĂȘme style mais en changeant un petit peu. Ca sâappelait Latte machiatto (Fou rire gĂ©nĂ©ral). On a fait un concert au Poulpe qui sâest avĂ©rĂ© ĂȘtre une catastrophe. En plus, les gens qui aimaient bien Borefat nous attendaient, ils sont tous venus nous voir et on sâest vraiment vautrĂ©. On sâest pas revu pendant trois mois. Pas dâappel, pas de rĂ©pĂšte, rien. Silence radio. Puis, on sâest revu, on sâest remis Ă composer mais en voulant faire autre chose. En partant de lâalbum « Sonic nurse » de Sonic youth.
Rami : On a jammĂ©, on a fait un morceau. CâĂ©tait cool. Calme, aĂ©rĂ© par rapport Ă ce quâon faisait avant. Câest le deuxiĂšme du disque. Tout est parti de lĂ . Câest tout pompĂ© sur Sonic Youth, Nurse !

La Spirale, Annecy, septembre 2017
Quâest-ce quâil reprĂ©sente pour vous, cet album de Sonic youth ?
Ram : Câest pas celui que les gens prĂ©fĂšrent. Il y a ce morceau, le cinquiĂšme,, Stones.
Ben : Câest hyper beau.
Ram : Ce morceau, il est incroyable.

Est-ce que vous pouvez me dire un mot sur la pochette de lâalbum ?
Ben : Câest le grand-pĂšre de Manu, dans le nord de la France.
Simon : On avait une idĂ©e super et câest tombĂ© Ă lâeau…
Ben : On voulait faire un portrait dâun pote, qui a une tĂȘte – une gueule, quoi. Il nous avait dit oui et puis plus de nouvelles et puis il a dit je suis pas photogĂ©nique, ça sert Ă rien.
Simon : En fait, cette photo, plus tu regardes et plus tu vois quâil y a tout. Le Ricard, la grosse clope, des bouteilles de gaz, tu sais pas trop, les briques, un chien et puis surtout, il y a le grillage qui prend toute la place. Et ça, câest gĂ©nial !
Manu : Câest marrant quâil ait dit oui… Je suis pas lĂ pour longtemps, va-z-y ! Il a le mĂȘme Ăąge que moi…
Ram : Il y a cinquante ans…
Ben : On voulait pas un truc en rapport. On voulait pas quâil y ait le nom. On est content que ce soit une photo qui nous appartienne.
Tu peux toujours voir des rapportsâŠ
Manu : Ouais, lĂ , mon grand-pĂšre, il montait son affaire, câĂ©tait une pĂ©riode merdique. Il Ă©tait en usine avant. Tu vois ce que ça pouvait ĂȘtre⊠Il vivait dans une baraque ouvriĂšre Ă cĂŽtĂ© de lâusine. Bossait six jours par semaine. Voisins avec ses collĂšgues. Il monte son truc. Câest un peu un Ă©chappatoire, quoi. Tu retournes le disque, tu vois lâautre image. Tu te dis : putain, il avait envie de se barrer !

Une question un peu Michel Drucker : on évoque souvent les années 90 quand on parle de votre musique, pouvez-vous nous raconter vos années 90 ?
Ram : On est plus de la fin des annĂ©es 90. Le lycĂ©e, Nirvana, Noir dĂ©sir…
Ben : En 4e, jâavais 15 ans. Je rĂ©pĂ©tais avec un pote quâavait une mobylette pourrie et jâavais la batterie dans le sac ! JâĂ©tais le batteur et je jouais sur une batterie Mickey !
Ram : CâĂ©tait le moment oĂč, mĂȘme dans le rock, on commençait Ă affirmer notre truc. Moi câĂ©tait lâalterno français, Les ShĂ©riffsâŠ
Simon : Les tout premiers CD, Nofx…
Ben : Et la dĂ©couverte des premiers groupes un peu durs. Le premier disque que jâai eu, câĂ©tait War de U2. JâĂ©coutais beaucoup, jusquâen 5e. AprĂšs, mon frangin a dĂ» acheter Tostaky. Jâai Ă©coutĂ©. Je me suis dit, putain, câest quoi ce truc-lĂ Â ? Cette intensitĂ©, cette Ă©nergie⊠MĂȘme maintenant, tu me mets Tostaky et tu me mets nâimporte quel Metallica, je trouve que Noir dĂ©sir, câest plus dur. Mais Ă lâĂ©poque, avec le son heavy metal, la batterie, la grosse prod, quand tâas 15 ans, ben… je suis allĂ© bien dans le metal. Assez loin. Pour revenir, tranquillement. Je suis revenu Ă Nirvana bien plus tard. Jâaimais bien Nirvana mais jâĂ©tais pas hyper fan.
Simon : Et puis, câĂ©tait les premiers concerts, les Plateaux rock Ă Annemasse oĂč toute la scĂšne alterno passait. Les Thugs, No one is innocent, Les ShĂ©riffs, Silmarils⊠Tu voyais le batteur torse nu et tu te disais Waouh ! Câest ça que jâai envie de faire !

Vous ĂȘtes dans le scĂšne locale depuis un paquet dâannĂ©es, comment est-ce que vous lâavez vue Ă©voluer ? Comment est-ce que vous la jugez maintenant ?
Ram : Ca bouge moins.
Simon : Tout ce qui est SMAC â genre Chateau-rouge – au dĂ©but, on trouvait ça plutĂŽt cool. Et maintenant jâai lâimpression que ça a tuĂ© tous les petits lieux. Les bars. Jâai lâimpression quâavant câĂ©tait plus simple de jouer pour un groupe qui commençait.
Ram : Au début des années 2000, il y a eu une pétée de petits festivals. Il y en avait partout !
Ben : Dans les villages, ils ne faisaient plus de bals, ils faisaient des festivals ! Tous les petits groupes – comme mon premier groupe, on Ă©tait vraiment nuls â tous jouaient ! Ca, ça a disparu. Avec NFO, on jouait avec des groupes de reggae, de chanson, avec les Shivaz. CâĂ©tait tout mĂ©langé ! CâĂ©tait cool !
Simon : Je pense que câest la professionnalisation de la musique qui a tout tuĂ©. Les groupes prennent plus cher parce que câest devenu leur job. Tous les prestataires prennent plus cher.
Manu : Les Rockailles, au dĂ©but, ça marchait bien, on sâest tirait Ă peu prĂšs (Manu a fait partie des premiers collectifs dâorganisations du festival des Rockailles, NDLR). On faisait passer des groupes qui prenaient peut-ĂȘtre 2000 balles et, en deux ans, câest montĂ© Ă 15000 boules⊠En fait, pour que ça marche, fallait faire en sorte que ça te coĂ»te rien ou pas grand-chose. Nous, on voulait faire ça pour faire passer des groupes qui nous faisaient envie et puis, rapidement, on a Ă©tĂ© pris Ă la gorge parce quâil fallait nĂ©gocier. CâĂ©tait pas notre boulot !
Ben : Business, quoi. Il y a un gros creux. Comme un peu partout, je pense…

Les Tilleuls, Annecy, septembre 2017
Ben, tâas aidĂ© Ă organiser des concerts dans des lieux alternatifs comme la Machine utile. Comment vous vous placez par rapport aux lieux plus institutionnels ? Est-ce que vous faĂźtes une diffĂ©rence ?
Ben : Ah ouais, moi je fais une Ă©norme diffĂ©rence. Je ne leur parle pas de la mĂȘme maniĂšre. AprĂšs, le truc, câest que jây travaille, dans les lieux institutionnels (Ben est Ă©clairagiste, NDLR). Jâaime bien, comme pour tout, avoir un pied dans plein de trucs. Ca me fait marrer. Jâaime bien faire la lumiĂšre dans des gros machins et jâaime bien les squatts oĂč il y a pas de lumiĂšre. En vrai, je prend plus de plaisir dans un squatt oĂč il y a pas de lumiĂšre ! Musicalement, par rapport Ă ce qui se passe. AprĂšs mon mĂ©tier, ça reste la lumiĂšre. Jâai une vraie passion pour ça.

A ton avis, quelle devrait ĂȘtre la relation entre les deux ?
Ben : Il nâ y a aucun problĂšme. Pourquoi les grosses salles pourraient pas programmer un groupe de noise ? Je considĂšre que câest leur rĂŽle. Câest ce quâils font, plus ou moins. Le problĂšme, câest la fermeture des grandes scĂšnes Ă la scĂšne indĂ© et Ă la scĂšne locale. Ils ouvrent leur petite salle volontiers, mais ils lâouvrent parce que câest dans leur cahier des charges, pas par plaisir. Enfin, câest pas vrai, ça dĂ©pend des programmateurs. Le problĂšme, câest le dialogue, on parle pas la mĂȘme langue.
Ram : Mais bon, nous, en tant que groupe, on a aucun combat contre lâinstitutionnelâŠ
Ben : Ouais, mais Simon il est en colĂšre. Et moi aussi, mais en mĂȘme temps jây suis alors je comprends plein de choses. Mais il a aussi des choses que je ne comprends pas. Je pense depuis trĂšs longtemps que les gens qui sont Ă ces postes, ils devraient changer tous les cinq ans. Le mot est peut-ĂȘtre fort mais ils sont blasĂ©s. Un peu. Et puis sur les grandes scĂšnes, ils se battent avec les prods. Exactement comme ce que Manu tâas racontĂ© tout Ă lâheure. Le problĂšme câest que quand tâas des mecs quâont pas de culture alternative, ils sâen remettent au tourneur quâil connaissent et on a toujours les mĂȘmes groupes.
Simon : Et on en vient au truc de la professionnalisation de la zique⊠Et puis, ils prennent le problĂšme dans le mauvais sens. Le public, en fait, il faut lâhabituer. Genre le Poulpe, maintenant ils ont leur belle salle. Câest rarement vide, quand mĂȘme. Ils ont rĂ©ussi Ă fidĂ©liser des gens qui vont voir les concerts, mĂȘme si ils ne connaissent pas le groupe… Et les grosses salles, câest : le tourneur nous a vendu un truc, câest bien, on va remplir notre salle. On est content ! On se pose mĂȘme pas la question de faire jouer un groupe en premiĂšre partie. Je sais pas⊠Pour moi, câest juste pas logique⊠Pour ces gens, ça paraĂźt un truc impossible de faire jouer un groupe local avant deux autres groupes, alors que les assos elles font jouer quatre groupes dans la soirĂ©e et câest cool. Ca se passe hyper bien.
Ram : Mais parce que les salles câest les cantonniers de la musique ! Ils sont dans leur petit rythme tranquille, faut pas trop changer ! Câest des cantonniers de commune, jâai rien contre mais faut dire les chosesâŠ
Ben : Câest dur parce quâon arrive pas Ă foutre nos groupes lĂ -haut…
Simon : Lâargent des subventions, il vient de qui ? Il vient de nous, il vient des impĂŽts. Alors tu en fais profiter tout le monde. Je demande pas dâĂȘtre payĂ© 1000 balles Ă chaque fois que je vais jouer mais un minimum de considĂ©ration. Tu files 100 balles au groupe. Les groupes de lycĂ©ens, tu leur files Ă bouffer. Tu leur files un jeu de cordes ! Tu vas voir un magasin de musique, tu mets leur logo au bas de lâaffiche. Les solutions, elles existent. Câest juste que les gens en ont rien Ă branler !

Il y a des fois, on connaĂźt des groupes Ă©trangers qui dĂ©chirent qui tournent en France et qui trouvent Ă peine quelques dates, on se dit bon sang câest dommage de pas pouvoir avoir accĂ©s Ă ces sallesâŠ
Simon : Les mecs Ă la programmation, ils lisent les Inrocks et puis câest fini.
Ben : Et puis les coups de pression du style : OK, je te fais celui-lĂ un peu moins cher mais par contre tu me prends celui-lĂ . Câest du business. Quand tâessayes de discuter, tu parles pas le mĂȘme langage. Nous, en toute sincĂ©ritĂ©, avec le recul, on a pas tous les tenants et aboutissants de ces gens-lĂ . Câest sĂ»r. Et eux, ils ont une vision qui est fermĂ©e.
Simon : Au dĂ©but, il y avait une Ă©mulation mais maintenant, ils programment la scĂšne locale et il y a personne. Pourquoi ? Parce que les gens peuvent nous voir ici au Poulpe ou au Moderne avant et câest vachement plus sympa !
Ben : Moi, yâa un truc qui mâa Ă©nervĂ©. Au cafĂ© Ă ChĂąteau-rouge dans leurs soirĂ©es intermĂšdes – parce quâil faut quâil y ait un nom Ă ces soirĂ©es, comme si les gens en avait quelque chose Ă foutre â ils programment un gars qui fait des reprises. Des reprises Ă Chateau-rouge ! Le mec â que jâapprĂ©cie, hein â il joue que dans des cafĂ©s oĂč les mecs veulent se faire du fric, OK. Mais Ă Chateau-rouge ? Dans un lieu subventionné ?
Simon : Il y a mille groupes qui veulent jouer, putainâŠ
La batterie de la camĂ©ra qui enregistre l’interview s’arrĂȘte Ă ce moment-lĂ . On n’y fait plus attention. Le flot de la conversation nous mĂšne jusque tard dans la nuit. Ben raconte son expĂ©rience comme hurleur dans un groupe de jazz d’avant-garde local, qui sera finalement Ă©lu album jazz de l’annĂ©e. On Ă©voque les projets du groupe, les concerts passĂ©s et Ă venir, un projet de label. A suivre…
Toutes les photos de Nurse sont tirĂ©es de l’excellent blog photo Lowlightconditions. Merci Ă lui !
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